Commenti disabilitati su Le grand Meaulnes d’Alain-Fournier. Valeurs civiques, sentiments intimes et transition socio-économique. 23-09-2021

Ce premier et seul roman d’Alain-Fournier met en scène les valeurs de la France profonde de la III è République avant la Première Guerre Mondiale durant laquelle l’auteur succomba dès le début à l’instar de son compagnon catholique Péguy. C’est un roman qui dévoile en filigrane une difficile transition socio-économique nationale par le biais de l’évolution de la sensibilité personnelle de l’auteur et des autres personnages du roman.

Au sommet des valeurs des jeunes écoliers héros du roman se trouvent la camaraderie et la loyauté. Mais la vie va imposer un dénouement plus tragique. Augustin Meaulnes, le grand ami de l’auteur, taciturne et stoïque à la fois, en fera les frais puisque son aspiration à retrouver un Domaine perdu qu’il avait entrevu par hasard, se conclura par la mort de la femme qu’il aimait et qu’il avait épousé. Or, cette mort il savait l’avoir causée en la quittant juste après leurs noces sans l’informer du motif. Il comptait ramener dans ce qui restait du Domaine, le frère fantasque de son épouse ainsi que sa fiancée qui l’avait quitté juste avant ses épousailles car, étant pauvre, elle se sentait indigne de lui. L’auteur, par une loyauté allant de soi, soutiendra tant l’ami que son épouse et son frère dans ces épreuves. Il faut bien voir que ce jeune écolier, Seurel, fils d’instit, qui deviendra lui-même instituteur, incarne la figure type de la III République accompagnant le peuple tout en lui enseignant ces belles valeurs d’éducation civique qui s’entrechoqueront fatalement à une réalité bien différente en tentant néanmoins de lui donner un sens profondément humain.

Comme on sait, ce premier et seul roman autobiographique, révèle les contradictions vécues par l’auteur lui-même, y compris sur le plan amoureux, puisque la jeune fille qu’il aimait en épousa un autre. Il fut dit de cette génération de jeunes très « cours d’éducation civique », éloignée de la lutte de classe, qu’elle accueillit la guerre presque comme une délivrance. Tant Péguy que Alain-Fournier mourront d’ailleurs dès les premiers combats, ce qui constitue sans doute le tragique épilogue de cette vision du monde, loyale mais peu adaptée à l’évolution de la hiérarchie de la réalité sociale nationale  « républicaine ».

Le roman est superbement écrit en langage simple qui réussit toutefois à donner le ton juste aux trois grandes phases de vie racontées. Sans changer de style, il suffit à l’auteur de moduler le choix des adjectifs, les allusions paysagistes et le rythme subtil de la syntaxe pour modifier la perception d’un décor marqué par l’horizontalité humide de la Sologne et de ses petits villages. Le roman s’ouvre sur l’arrivée du grand Meaulnes au village et à l’école du village où sa taille et son caractère taciturne le distingue du lot et pour cela attire la sympathie immédiate du jeune écolier Seurel. Sympathie qui sera renforcée par une fausse fugue d’Augustin. Il s’agissait d’aller chercher les grands-parents de Seurel à la gare située à quelques kilomètres du village. Le grand Meaulnes, que personne n’avait désigné pour cette tache, n’en fit qu’à sa tête, sans prévenir personne. En chemin il se perdit. Cet égarement le conduisit, de nuit, transi et son attelage perdu, à un véritable château de fable, un Domaine inconnu où se jouait une fête avec  une multitude de clowns, de jongleurs, d’artistes et de jeunes enfants faisant la fête. D’abord surpris, Agustín se laissa vite entrainer dans le tourbillon. Et après avoir bien manger, il arriva ce qui devait arriver. Les mouvements de la compagnie en fête lui firent croiser son chemin avec celui de la fille du châtelain, la belle demoiselle Yvonne de Galais. Ce fut un coup de foudre aussi mutuel d’instantané, un de ces coups du destin qui détermine toute une vie. Augustin eut juste le temps de comprendre que ces festivités avaient été préparées pour le mariage du jeune frère d’Yvonne, Frantz, avec sa fiancée fantasque laquelle lui avait fait faux bond au dernier moment. C’est un Frantz désespéré qui lui avait appris de sa bouche, sans même le connaître, entre une chambre et un couloir de la grande demeure, ainsi que le font les grands malheureux qui se confient avec une nerveuse volubilité à premier venu. La fête tournant court et ne pouvant revoir sa belle, le grand Meaulnes se prépara à contre-cœur à rentrer au village. Ce retour ponctué de revirements eut comme conséquence que le pauvre rêveur éveillé arriva enfin au village sans pouvoir se souvenir du chemin parcouru.

Alain-Fournier souligne la difficulté de retrouver une vie normale après un tel intermède. Le jeune villageois avait par hasard découvert un monde nouveau, virevoltant de plaisirs et de sentiments, un Domaine nouveau qu’il ne cessera de vouloir retrouver. Il allait de soi que son ami s’emploiera à le seconder dans cette haute entreprise. Mais comme l’automne cédait déjà le pas à l’hiver, il fut convenu de remettre les recherches du Domaine nouveau au printemps. Fournier revient alors à des formules langagières plus campagnardes du genre « nous avons été à tel endroit » qui constituent à mon sens une merveille de style.

Cette recherche du monde nouveau, à peine entrevu, contenait la promesse d’une société en fête couronnée par l’amour retrouvé. Nous avons-là une vaste métaphore de la promesse non-dite dans le roman, de la modernisation tant économique que sociale du pays pour laquelle rien n’est donné d’avance puisque chaque miette de bonheur sera chèrement payée par tous les acteurs. Ainsi l’année 1905 fut l’année de la laïcité et du renouveau syndical. seules les valeurs qui animent les protagonistes confèreront finalement un sens à ce devenir.

Le grand Meaulnes quitta son épouse immédiatement après son mariage pour ramener Frantz au bercail. D e par une promesse faite à Frantz, ce projet lui imposait de retourner à parsi pour retrouver sa fiancée et favoriser ainsi leur réunion. Par un coup du destin, sans le savoir,  Augustin avait « connu » cette jeune fille décomplexée dans la  capitale lors de sa tentative de retrouver Yvonne. Cet acte de loyale abnégation se solda, un an après environ, par le retour des trois comparses au Domaine. Mais ce dénouement vira au tragique puisque le grand Meaulnes apprit la mort de sa femme à son retour. Elle lui laissait une petite fille sur laquelle Seurel avait veillé en son absence, apportant ainsi une consolation à Augustin tout en infligeant un esseulement supplémentaire à son ami, qui avait chéri la demoiselle de Galais autant que sa fille. Les héros, dit-on, sont solitaires même au sein de la foule.

Ce portrait d’une France campagnarde, très III è République toute pétrie des hautes valeurs de l’éducation civique impartie par l’éducation obligatoire et laïque – Alain-Fournier était Normalien – mais mise à mal par une société marchant vers le partage guerrier de la Planète et vers la boucherie mondiale que ceci impliquait, est toute différente de celle mettant en cause des couches sociales plus urbaines, par exemple celles peintes par Colette. Nous sommes également loin de la modernité saluée par Apollinaire lorsqu’il chanta ces « soirs de Paris, ivres du gin flambant de l’électricité, les tramways feux verts sur l’échine musiquent, le long de leurs portées de rails, leur folie de machine. » Pour le petit peuple de la France profonde, la transition de l’une à l’autre, ne se fit que par l’intermède joyeux du Domaine découvert par hasard, presque dans un rêve, par le grand Meaulnes. Ce Domaine n’existait d’ailleurs plus. Après la rupture incongrue des noces entre le fils du châtelain et la bonne, il avait été abandonné et à demi vendu et rasé du sol, alors que Frantz, pris de folie, s’était enfoui pour se joindre à une troupe de bohémiens.

Cette contradiction d’un devenir fantasmé, projeté avec ses valeurs qui lui conféraient son sens spécifique, et de la Réalité concrète mena Alain-Fournier à une impasse. Elle offre un démenti cinglant aux louanges régressives à des valeurs « morales », prétendues pérennes et  absolues, mais strictement formelles, telles que les défendait Julien Benda.  Elle mena au désenchantement et à la mort de l’auteur. De manière tragique, au plan personnel, la jeune fille qu’il aimait en maria un autre, le laissant dépourvu. En transposant ce déboire dans son roman, Fournier soigne un peu sa blessure d’amour-propre en faisant mourir la belle Yvonne de Galais en couche attendant son amoureux … Il est vrai que le Domaine en fête relevait plus d’un passé aristocratique et courtois révolu que d’un avenir moderne souhaité.

Paul De Marco.

San Giovanni in Fiore (CS), 23 septembre 2021

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