Commenti disabilitati su Machiavelli ou comment « vivere libero » dans un Etat de droit approprié. 29 déc. 2021.

Thèse préliminaire

La méthodologie de Machiavelli

(Ajouté le 11 mai 2022. Voici comment parlaient les Florentins à l’époque de Machiavel. Ceci explique sans doute pourquoi Rousseau et Marx ont immédiatement saisi son authentique message : ” Que cette antiquité du sang, qu’on nous reproche, ne vous déconcerte pas ; car tous les hommes, ayant eu un seul et même commencement, sont également anciens, et par nature sont faits d’une seule manière. Déshabillez-nous tous nus : vous nous verrez semblables ; revêtez-nous de leurs vêtements et eux des nôtres : nous serons sans doute nobles et ils paraîtront ignobles ; car seules la pauvreté et la richesse nous distinguent. “dans Istorie fiorentine, Livre III, éd. Tutte le opere, Bompiani, 1971, p 1830.)

Thèse préliminaire.

Machiavelli est le moins machiavélique et le moins « utopique » des penseurs de la Renaissance. Il est permis de penser que le « machiavélisme » ordinaire ait été forgé pour occulter son vrai message scientifique et politique. J.J. Rousseau n’en pensait pas moins. Machiavelli est un réaliste qui se veut scientifique et objectif à une époque de la Seconde Renaissance où les meilleurs penseurs redécouvraient l’esprit d’investigation critique. Il part d’un constat qu’il tire surtout de l’Histoire romaine, en particulier celle de la République telle que relatée, entre autres, par Tite-Live ainsi que le fera Vico plus tard en affinant son analyse historico-philologique. Pour le diplomate et penseur florentin toutes les sociétés, du moins  celles pour lui concevables, sont marquées par les conflits entre dominants et dominés. Vico pour sa part parlera spécifiquement de « luttes des classes ». Ceci est vrai pour les trois formes de régimes types qu’il examine, la monarchie, l’aristocratie et la république. La question devient alors : comment peut-on concevoir des institutions politiques permettant de « vivre libre » ? Sa réponse consiste dans l’équilibre des forces en présence et, en cas de conflits ouverts, dans la dissuasion – conventionnelle –, d’où son insistance sur l’Art de la guerre.

Ses deux phrases clé dans les Discours et Le Prince sont les suivantes «A volere che una setta o una repubblica viva lungamente, è necessario ritirarla spesso verso il suo principio » e « I danari non sono il nervo della guerra, secondo che è comune opinione ». Les « élites » italiennes – au sens de Michels et de Mosca ? – post-seconde guerre mondiale qui s’emploient activement à trahir la Constitution républicaine, née de la Résistance, depuis l’expulsion atlantiste des communistes de Togliatti du gouvernement en 1947, font besogneusement tout le contraire. J. J Rousseau prolongera le souvenir de ces enseignements allant même jusqu’à expliquer la ruine de Sparte par le viol de sa constitution lorsqu’elle tolèrera qu’un  roi bossu, qui aurait dû être écarté à la naissance, puisse accéder à la royauté. La légitimité disparaît alors avec ces entorses et avec elle l’Etat de droit, de sorte que la richesse ne peut plus rien contre le délitement de l’équilibre institutionnel devant naturellement s’appliquer à tous pareillement sans la moindre exception, dominants ou dominés. Dans les palais de justice de la République italienne est inscrite la phrase : « La legge è uguale per tutti » mais cela ne ressemble plus qu’à une moquerie philosémite nietzschéenne.

On voit que l’Art de la guerre fait partie intégrante de cette étude « objective » des relations sociales et politiques puisqu’il n’est que la poursuite du raisonnement dans le contexte de conflits ouverts et armés.

Pendant que Machiavelli, écarté de sa fonction diplomatique à Florence et réduit à l’oisiveté, travaillait à ses Discorsi selon une méthode nouvelle quasiment historique et sociologique, il prendra le temps d’écrire son œuvre la moins bien comprise, à savoir Le Prince qui est une sorte de résumé opérationnel de sa théorie de la gestion des conflits présidant à la création ou au maintien de l’Etat.  On n’en retient usuellement que la coloration qu’en donne la préface qui est une présentation « objective » du comportement politique et guerrier du duc Valentino , César Borgia, un homme politique qui ne reculait devant aucune action nécessaire pour atteindre ses fins sans la moindre concession pour la morale, en particulier celle débilitante et hypocrite de l’Eglise. On se reportera à ce sujet à sa pièce de théâtre la Mandragola qui est une critique satirique des mœurs de ses contemporains inspirée par Boccaccio. Antonio Gramsci comprendra parfaitement les enseignements du grand florentin. Il ne s’agit pas de dire vulgairement que « la fin justifie les moyens », il convient tout simplement de trouver les moyens appropriés pour l’action en autant que la fin correspondît au bien général de la société et à la préservation de sa stabilité, faute de quoi la réalité elle-même se chargera d’en faire la critique en acte. Autrement dit, ce n’est nullement une apologie de la force brute exercée hors de tout contexte civilisationnel. La fin justifie les moyens lorsqu’elle cesse d’être subjective pour correspondre à la loi naturelle, de sorte que l’utilisation acceptable de la force dans les conflits sociaux découle uniquement de la légitime défense.   

Le propos réel est le profond désarroi ressenti par Machiavelli comme avant lui par Joachim de Flore, Dante ou Pétrarque etc., devant le délabrement de la péninsule italienne envahie de toute part alors que les monarchies nationales française et espagnole s’étaient mises en place et pesaient de tout leur poids sur le destin de l’Europe, voire du monde. Ce ressenti se retrouve dans son Histoire de Florence qui commence par dresser l’histoire de la péninsule « romaine » envahie par les « barbares » ce qui entrainera à fin à la grandeur de Rome.  C’est d’ailleurs la première histoire séculaire lucide de cette période trouble et confuse qui reste pourtant une période charnière pour la péninsule. (Dans un commentaire initial, éminemment utile aujourd’hui face à tous les xénophobes décadents, il note que les peuples du nord, les envahisseurs de l’époque, habitaient des régions dans lesquelles les terres utiles étaient rares. Mais comme ils étaient féconds ils déversaient de temps à autre leurs surplus démographiques dans une Italie qui ne savait plus les absorber, ni les coopter comme le faisait jadis la République romaine en assurant ainsi sa force et sa grandeur future.) Borgia tenta une extension territoriale semblable à celle de Rome, mais il le fit avec l’appui du pape , un appui par nature limité dans le temps puisque la mort du pape le privait de soutien dans son entreprise alors qu’il restait toujours perçu comme un étranger.

Il fallait donc tout revoir à neuf pour réussir à faire émerger un Etat national digne du nom dans la péninsule. Il fallait comprendre les mécanismes régissant les conflits sociaux et l’établissement d’un Etat de droit stable pouvant tenir son rang dans le monde au sein des autres puissances émergentes. Avant le traité de Westphalie de 1648, dans Le Prince Machiavelli en arrive à concevoir le système de la balance du pouvoir ainsi que ses travers, tant au niveau interne qu’extérieur ou inter-national. Les alliances se font et se défont selon une logique élucidable. Il énonce les principales puissances  présentes dans la péninsule – Venise, la Lombardie, Florence, la papauté, la Romagne, Naples -, leur équilibre instable et les mécanismes de la faillite de ces équilibres successifs et précaires: les étrangers invités pour assurer la défense, soit comme mercenaires, soit comme alliés. Les premiers étaient peu fiables, les seconds, plus puissants, présentaient le danger de vouloir s’établir en maîtres. Il y ajoute sa connaissance des points de fracture systémiques, par exemple la division entre Guelfes et Gibelins, division savamment entretenue par Venise ou par diverses puissances  étrangères , comme le sera ensuite celle opposant Blancs et Noirs à Florence même. Comment alors concevoir un équilibre stable donnant à l’Italie sa solidité nationale ? Un Etat nouveau – monarchie ou aristocratie ou bien, ce qu’il préférait personnellement du fait de son idéal romain, la république – doit savoir se mettre en place et instaurer l’Etat de droit institutionnel tout en disposant d’un vrai pouvoir dissuasif reposant sur les milices plutôt que sur les mercenaires afin de garantir sa prospérité, la liberté de ses citoyens et sa permanence en tant qu’Etat.  Il organisera d’ailleurs lui-même une telle milice de conscrits – ordonnances – qui eut un certain succès.

Le nœud de l’affaire consiste à comprendre qu’un Etat qui ne respecte pas ses propres institutions – Etat de droit – pour mieux privilégier une classe spécifique est un Etat qui perd rapidement sa légitimité et qui, par conséquent, s’autodétruit.

La forme du régime politique importe donc finalement peu du point de vue de la mise en place de l’Etat, voire de sa préservation, de son agrandissement et de sa stabilité : les principes de l’équilibre découlant de la constellation des forces en présence, les relations entre dominants et dominés, restent semblables dans tous les cas de figure mais seront fortement influencés par la nature du régime en place. C’est ainsi qu’il faut concevoir le terme liberté, à savoir dans le sens de l’homme libre dans la Rome antique, le citoyen, qui est protégé dans sa personne et dans ses droits même contre l’arbitraire du pouvoir en place. La nature de cette liberté était si ancrée qu’un Saint Paul n’hésitera pas à se réclamer de sa citoyenneté romaine en guise de protection contre les châtiments infamants comme la crucifixion. Ce principe est compatible avec tous les régimes que nous appellerions en langage moderne des régimes  constitutionnels, y compris la monarchie, pour autant que ces régimes ne dérivassent pas vers la tyrannie. C’est un invariant – du moins pour les  relations inter-étatiques …..

De ce point de vue, l’approche historique moderne ira dans le même sens et concevra la possibilité du passage de la société interétatique à une organisation continentale-mondiale plus évoluée, disons une internationale après le passage par une société des nations dotée d’un mécanisme de sécurité collective. Reste que Machiavelli écarte implicitement l’Empire. Il écarte ainsi la dualité, pour lui stérilisante et déstabilisante, qui opposait une Eglise universelle romaine, d’ailleurs plus en mots qu’en faits, à un empire romain germanique ou autre. Sa république, à l’instar de celle de la Rome antique des origines, peut s’accroître, y compris par l’établissement de colonies, mais doit le faire en respectant et en faisant respecter ses propres lois. L’Empire les viola et devient rapidement autophage au sommet et viscéralement instable. En fait, le ver de la discorde et de la ruine pénètrera dans le fruit une fois que le pouvoir absolu de l’Empereur mettra en cause l’équilibre fondateur entre le Sénat et les tribuns du peuple, le peuple étant également et emblématiquement désigné comme l’« Universel » par Machiavelli. En fait, ni César ni Octave-Auguste, ni aucun des Césars plus respectés comme les Flaviens,  n’oseront  prétendre ouvertement être au-dessus des institutions fondatrices de Rome.  Par conséquent on peut très facilement intégrer les développements historiques qui suivront après la mort de l’auteur hors de l’espace inter-étatique sur les bases mêmes de la science politique que lui donne Machiavelli.

D’autant plus que Machiavelli sait que l’Histoire évolue et modifie le contexte dans lequel ses analyses doivent se développer. Dans son Histoire de Florence il décrit l’autodestruction guerrière des élites féodales, la fin de leur manière de combattre, et leur remplacement par les marchands et les corps de métiers – et leurs gonfaloniers – , ce que Marx ne manquera pas de noter. Les développements que Machiavelli consacrera à la Fortune, résument d’ailleurs parfaitement sa conception de l’apprivoisement du hasard par l’acquisition de la science de la société et du politique qui permet de se libérer de tout déterminisme dogmatique et vulgaire, et par conséquent dangereux, tout en tirant des circonstances et des évènements imprévus le meilleur parti possible.

Machiavelli incorpore également dans son ordre constitutionnel la possibilité d’amender la constitution mais en respectant son esprit initial. D’où la nécessité de revenir ponctuellement à ses origines. Ces origines ne sont pas arbitraires puisque elles doivent avoir produit une permanence, un équilibre stable. Elles sont en fait l’objectivation institutionnelle de la loi naturelle – loi naturelle que Giambattista Vico fera transiter à son acception moderne avec son diritto delle genti – à savoir, ce qui est nécessaire pour que la société soit stable et permette aux individus de «  vivere liberi » . Nous avons-là la connexion essentielle entre la société civile et la société politique.  Le reste mettra en jeu l’analyse des changements qui se vérifieront dans les soubassements socio-économiques et culturels que Vico entreprendra d’explorer plus à fond avec son explicitation scientifique de la lutte des classes dans sa Scienza nuova et que Marx portera à son terme.

On pourra élucider et vérifier cette thèse en examinant les discours des penseurs de la Renaissance et de tous ceux qui suivront. En particulier tous ceux qui n’hésitèrent pas à attaquer un « machiavélisme » préalablement établi par eux comme un épouvantail à abattre. Parmi eux, on notera tout particulièrement les Huguenots qui s’ingénieront à dresser ce portrait infamant de la tyrannie a-morale et sanglante simplement pour réfuter une monarchie absolue émergente qui prétendra imposer le choix des croyances religieuses – tel prince, telle religion – et voudra brider la liberté, sans exempter la liberté de conscience, non pas en faveur de l’intérêt général, mais plutôt dans l’intérêt du Prince établi en monarque absolu, donc garant d’une féodalité parasitaire mais désormais subordonnée, contre l’intérêt des marchands et des «bourgeois ». Au fond, ils sont plutôt machiavéliens étant pour une constitution placée au-dessus de tous et un chacun et s’imposant pareillement à tous. La Boëtie et Montesquieu après lui retrouveront la nécessité d’un ordre institutionnel fortement appuyé par la constellation des forces organisées au sein de la société civile, base de toute société politique vivable. Althusser, sans nommer la dette intellectuelle de Montesquieu envers Vico, fera de ce dernier le découvreur d’un « continent nouveau », celui de l’Histoire. Cette conception réaliste renvoie à l’équilibre de la constellation des forces en présence mise à jour par Machiavelli. Elle est quelque peu différente de la division institutionnelle formelle du pouvoir entre trois branches, l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire, dont Machiavelli traitera également en profondeur pour insister sur la nécessaire impartialité de la justice,  à savoir la conception typiquement bourgeoise que l’on retrouvera plus tard chez Locke et qui influencera fortement la Constitution américaine avec ses « checks and balances ».  Les démocraties bourgeoises les plus avancées n’auront d’ailleurs de cesse de revenir aux principes des contre-pouvoirs machiavéliens, par exemple en reconnaissant le rôle des syndicats et des représentants de la société civile. (Pour un résumé de ce processus historique je renvoie ici à la « Note 15 sur John Galbraith » dans mon Livre III, librement accessible dans la section Livres-Books de mon vieux site jurassique www.la-commune-paraclet.com )

En tout état de cause – élément à retenir au vu des dérives sanitaires totalitaires et transhumanistes actuelles – nous sommes loin chez Machiavelli de l’Etat hobbesien conçu comme unique garant de la sécurité des individus – et de leur propriété privée – au détriment de leur liberté en tant que citoyens libres.

La méthodologie de Machiavelli.

Machiavelli invente une méthode théorique-empirique d’investigation des relations de pouvoir dans la société et dans l’Histoire. Nous pourrions parler de topologie historico-sociologique. Son point de départ est la nature humaine conçue selon la garantie des exigences de base de la vie humaine qu’il résume par le droit du citoyen à vivre libre – « droit » compris dans le sens prévalant dans la république romaine antique. Compte tenu de la disparition de l’esclavage légal, ceci renvoie à la loi naturelle moderne.  Ce n’est donc pas une « nature humaine » idéalisée et pérenne – Locke, Hobbes etc. – mais concrète qui est définie par les conditions matérielles et institutionnelles de l’existence de l’homme libre.

A preuve Machiavelli tient compte du contexte géographique ou social dans lequel s’exprime ce droit à vivre libre – citoyenneté – qu’il conçoit comme un invariant axiomatique consubstantiel à la vie humaine mais néanmoins susceptible de prendre diverses formes synchroniques et diachroniques. Ainsi il différencie entre les montagnards, plus rudes car moins urbanisés, et les citadins, entre les tribus primitives et le monde de son temps. Son exemple du Centaure qu’il interprète comme une métaphore du passage d’un état d’existence plus rude – quasi bestial – à un état plus civilisé, est à la base de sa distinction, souvent citée mais mal comprise, entre le lion et le renard, soit, la force brute et la ruse, cette dernière étant la force médiée par les institutions sociales. Il distingue aussi le féodalisme avec ses seigneurs guerriers et leur manière spécifique de faire la guerre et la société marchande qui s’installera dans les villes, en particulier dans sa riche Florence natale. Il innove  en ce qui concerne l’étude étymologique et structurale des textes anciens ce qui mènera à l’utilisation poussée de la philologie conçue comme un outil que Vico mettra au cœur de sa méthode d’investigation historique scientifique. L’exemple le plus fameux dans l’œuvre de Machiavelli tient sans doute  dans son investigation de l’origine du nom de Florence ou encore celui de l’origine de Venise. De la même manière, son œuvre témoignera de sa conception perspicace de l’émergence du pouvoir temporel de la papauté lorsque les invasions barbares successives de la péninsule créèrent un vide politique, culturel et moral.

De la sorte les relations historiques dûment interprétées par cette « grille d’analyse » bien murie deviennent matière à étude empirique théoriquement dirigée vers une thématique spécifique, objet d’étude de l’investigation, soit la compréhension des relations de pouvoir.

Ceci fait de Machiavelli un des précurseurs de la conception de la lutte des classes et, partant, du matérialisme historique. Il est alors peu surprenant de constater que Vico s’inspirera à la fois de Joachim de Flore, qui proposa l’impeccable syllogisme des trois Âges de la civilisation cheminant vers l’émancipation générale, et de Machiavelli qui théorisera le passage de la société brutale primitive aux différents degrés de civilisation. Nous avons ici la transformation de la Horde primitive que Vico proposera ensuite et qui sera typiquement plagiée en mode régressif inversé par le charlatan réactionnaire nietzschéen  Freud, tôt suivi de bien d’autres, dont Heidegger pour la philologie consciemment et frauduleusement mise au service de l’inégalité humaine en la triturant pour lui faire nier la logique « vichienne » émancipatrice du devenir historique.

Joachim était un pythagoricien désireux de reformuler le message universel pythagoricien christique d’origine dans un sens post-christique plus avancé, incarné dans le Troisième Âge de la sécularisation de l’Esprit. Il voulait ainsi dépasser le state du « mensonge vrai » mis en scène par Platon dans la République. Cette  narration bien-intentionnée était destinée à jouer un rôle de pédagogie de masse en comptant sur le soutien de corps intermédiaires faisant office d’exemples à suivre – l’Âge du Fils supplantant l’Âge du Père reposant sur l’obéissance à l’Autorité  – afin de concilier la conscience individuelle et la conscience humaine tendant vers le Bien avant la généralisation de l’éducation.

De la même façon, Machiavelli et Vico sont fortement ancrés dans l’histoire romaine et spécifiquement dans l’histoire de la République romaine laquelle passa effectivement, selon sa propre mythologie officielle, d’une Horde primitive à la royauté puis à la République stable malgré ou  à cause de ses conflits institutionnellement gérés. Du moins jusqu’à l’expropriation impériale fondée sur une narration exclusiviste, à savoir la frauduleuse et débilitante filiation d’avec les dieux que Machiavelli illustre très pertinemment pour certaines sociétés antiques tout comme pour la Rome impériale . Tous ces auteurs savent que les « sectes » ou religions mettent en œuvre des récits permettant de maintenir les relations sociales, par conséquent des récits qui doivent être remis à jour de temps à autre. Tous ces auteurs dépassent le cul-de–sac civilisationnel européen, soit  la guerre pour la domination entre empire spirituel et empire temporel – i.e. prétention à l’universalité exclusive, l’exacte et singulière inversion de l’universalité en tant que telle – en faveur d’une société « nationale » – en fait laïque et s’exprimant désormais dans sa langue vernaculaire – inscrite dans un concert plus vaste des nations présidant à la formalisation d’un droit international. Ils mènent donc directement à Marx.  

Toute l’originalité de Machiavelli éclate lorsqu’on compare son message à celui ayant valeur de légitimation politique qui était incarné dans la réaction socio-politique et culturelle dont les Ordres des frères mineurs seront les vecteurs. Elle fut profondément  anti-Joachim malgré l’hypocrite et la régressive démagogie encensant la « pauvreté christique » des origines et, par conséquent, le «retour » à la subordination du Fils et au Fils dans la version récupérée et subordonnée qui émergea de l’impitoyable nettoyage idéologique perpétré par le Concile de Anagni de 1255, évènement précurseur de ce qui deviendra par la ensuite, et pour les mêmes raisons, la contreréforme sanguinaire du Concile de Trente et de son Inquisition. Avec  les Ordres des frères mineurs, dont Machiavelli s’occupera vers la fin de sa vie pour le compte de Florence, naît le typique bas clergé servant d’amortisseur social pour un haut clergé corrompu et dévoyé. Ils mèneront d’ailleurs paradoxalement à la redécouverte de Joachim par Thomas Müntzer, y compris en réaction à la révolte conventionnelle portée par un Luther vite soumis aux princes – Voir à ce sujet la Guerre des paysans de Marx-Engels.

De la même façon, la tentative de reformulation, disons œcuménique, des Trismégistes. On sait que Ficino traduisait Platon et que son maître, le prince de Medici, lui intima l’ordre d’interrompre momentanément sa – dangereuse – traduction  … pour se consacrer plutôt à la traduction d’un texte récemment découvert, un faux, qui prétendait faire remonter les origines du christianisme à l’Egypte antique et donc avant Moïse et avant le Messie. Pico della Mirandola, qui exécutera un spin réactionnaire typique sur l’œuvre de Ficino, avait été élevé en langue hébraïque. Il poussera la falsification plus loin en y ajoutant l’irrationalité a-scientifique  de la cabale, ce qui pervertira durablement la renaissance de l’esprit scientifique en Europe. La cabale avait d’ailleurs vu le jour dans sa forme moderne très spécifiquement pour contrer le message émancipateur de Joachim de Flore en recourant à toutes les âneries que l’on sait, dont l’astrologie et la Gématria, – dixit le rabbin Scholem de tradition orale: laquelle ? vu qu’il y en a plusieurs ? J’ai ajouté, en guise de clarification définitive, que l’origine de cette pratique divinatoire, que l’on pourrait qualifier de pratique d’âne apuléen, remonte en fait au sumérien qui utilisait simplement les lettres pour les chiffres … Ce qui ne manquera pas d’influencer les développements de l’étymologie – par exemple lorsque G. Budé et le groupe de lettrés, dont ceux de la Pléiade, se mettront à enrichir le vernaculaire français, devenu langue officielle de la royauté, en empruntant à toutes les langues connues mais, pensaient-ils, de manière ordonnée …  Souvent le processus et son produit s’enfantent mutuellement … 

Cette tentative trismégiste de combattre les guerres de religion en leur proposant une origine commune fut vaine. Elle ne résista d’ailleurs pas à la critique méthodique du protestant Isaac Casaubon dès 1614 qui influencera beaucoup la formation de l’esprit critique reposant sur le doute systématique et, par conséquent, l’émergence de la méthode scientifique moderne. Il semble que Giordano Bruno, que l’on confond à tort avec cette tentative narrative hermétique, avait une mission plus avancée, proprement scientifique, par ex., lorsqu’il se rendra à la Cour du roi de France Henri III qui semble l’avoir ensuite envoyé en Angleterre. D’ailleurs dans son Le Banquet des cendres , il dénonçait les « asinate e pedanterie », y compris celles officialisées dans les universités dont l’Université d’Oxford. Sa conception était fondée sur la science et les mathématiques. Selon mon interprétation personnelle, il entreprendra l’adaptation moderne des « correspondances » mises en lumière par Joachim de Flore – La Concordia, Le Psaltérion à dix cordes, etc. –  à la conception moderne de l’astronomie –  Voir son résumé On composition, encore peu analysé sous cet angle scientifique, qui constitue de fait une première tentative – disons qu’il devance Schiaparelli et Flammarion ? – pour écrire une histoire scientifique de l’astronomie en élucidant également ses données telles que transmises et mystifiées par la mythologie et l’astrologie, donc en les dépouillant de leur gangue irrationnelle et narrative. 

Machiavelli anticipe encore ici : pour lui, le récit religieux a une fonction sociale précise qui peut être remplacée par la constitution qui en est la forme moderne, accomplie, étant la matérialisation institutionnelle de la loi naturelle. Et c’est bien pour cela que ce genre de récit ou d’exposition objective est dépendant de la fonction qu’on veut lui faire jouer. Machiavelli renvoie donc à sa méthode scientifique historico-empirique de l’établissement stable du « vivere libero » établi comme critère décisoire humainement axiomatique.

Paul De Marco   

Copyright ©La Commune Inc, 29-30 décembre 2021

Références :

1 ) Machiavelli. Il Principe e altre opere politiche, Garzanti Editore, 29 ottobre 1985

2 ) La Mandragola, https://www.youtube.com/watch?v=lNcRY3YtRd4

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