Commenti disabilitati su Roger Lenglet et Jean-Luc Touly, Les requins de la fin de vie : Ehpad, pompes funèbres, tutelles, maisons de retraite, Michel Lafond 2020.

Ce livre essentiel est le fruit d’une enquête « commencée en 2016 ». La situation déjà dégradée par la privatisation à tout-va vira au cauchemar avec la crise sanitaire révélée par la gestion néolibérale du Sars-CoV-2 dans un monde marqué par « des pratiques de pillage et de toutes sortes d’abus d’autant plus insupportables qu’ils s’exercent contre les personnes âgées au prétexte de les protéger » (p 13)

« Ici, le mal n’est plus rampant, il avance vite et a déjà pris une ampleur nationale. En prenant les formes de l’affairisme mafieux, il s’introduit jusqu’au cœur de nos institutions, au nom du bien, au sein même des Ehpad et des réseaux tutélaires. Il a des ramifications jusqu’au cœur du monde judiciaire.

Nous avons découvert que ces abus, dans les Ehpad par exemple, sont devenus une « nouvelle normalité » qui banalise la maltraitance rentable et le déni de pratiques mortifères, pour ne pas dire de l’euthanasie. La pandémie de Covid-19 nous a rattrapé pendant que nous terminions cette investigation. Sa gestion catastrophique et la mortalité qui en a découlé dans les Ehpad sont venues confirmer nos conclusions. Mieux elles les ont aiguisées.

Pauvre ou riche, personne n’est plus à l’abri. Les dérives ont pris l’allure d’un système bien rodé, intouchable, sous couvert de professions honorables, de collectivités, d’établissements privés ou publics, de grandes entreprises.

L’appât du gain et la recherche du profit, la satisfaction de l’actionnaire ont pris le pas sur tout le reste » (pp 13,14)

Tout ou presque est résumé dans ces extraits de l’Avant-propos. Les expériences relatées dans le livre font froid dans le dos.

Démographie.

La démographie enregistre pour l’heure une augmentation de la longévité moyenne. Nous savons par ailleurs qu’elle se conjugue avec des millions de citoyennes et de citoyens renonçant aux soins trop coûteux alors même que le nombre d’années en bonne santé tend à diminuer après 65 ans.

Les auteurs dressent un rapide cadre démographique. Mais le constat qu’ils tirent de la gestion de la fin de vie montre combien cette opportunité individuelle et collective se transforme en cauchemar néolibéral cousu main.

Il y a 12 millions de personnes de plus de 60 ans dont 1.2 million de plus de 85 ans. Les plus de 60 ans compteront 21 millions en 2040 et 1/3 de la population en 2060. Les centenaires sont passés de 200 à + 1000 puis à 21 000 de 1950 à 1970 à 2016 respectivement et atteindront 160 000 en 2050.

70 % des plus de 65 ans souffrent d’une maladie chronique. 1 million souffre de la maladie d’Alzheimer avec une progression de + 250 000 par an. (pp 34, 35)

Pour bien souligner la problématique de la grande dépendance des personnes handicapées les auteurs ajoutent : « Exemple : alors que les personnes trisomiques ne vivaient pas plus d’une trentaine d’années dans les années 1970, elles atteignent aujourd’hui aisément plus 60 ans en moyenne, de sorte que leurs parents aidants disparaissent souvent avant eux. » Elles gagneraient en moyenne une année d’espérance de vie par an contre 3 mois pour la population ordinaire. (p 35) On devrait pourtant s’en réjouir, y voyant une marque civilisationnelle signifiante.

Rentabilité.

La privatisation démontre toute son inefficacité lorsqu’elle s’applique aux infrastructures et aux services publics et sociaux. C’est dramatiquement le cas avec les Ehpad et leur privatisation rampante.

De 1/3 à ½ des établissements sont déjà privés selon les départements. (p 19) Les Ehpad publics sont moins chers, leurs tarifs étant fixés par les collectivités locales ou par les hôpitaux publics, mais les files d’attente sont plus longues.( p 7) Ce qui revient à gérer le système mixte en faveur de la croissance du tout privé, à l’instar de ce qui ce fait de plus en plus pour les hôpitaux et les médicaments.

La rentabilité dicte tout, des locaux, au personnel, à la médication et donc fatalement à la qualité des soins, au traitement des résidents – la maltraitance consciente ou systémique semble une plaie ouverte – et aux conditions de la mortalité. La précarité est la règle avec un ratio de 8 à 10 d’employés pour 100 résidents. (p 19) La présence des infirmières est aléatoire surtout la nuit, celle du médecin rarissime. La retraite moyenne est de 1376 euros/mois, le minimum vieillesse de 833 euros/mois mais le tarif médian de l’Ehpad public est de 1630 euros/mois et de 2630 euros/mois pour le privé. (p19) Le seuil de pauvreté est de 1040 euros/mois. (p 46).

La gestion se fait genre HEC – pourrait-on dire, en mémoire de l’Abbé Pierre, à la façon moderne Martin Hirsch ? Il faut donc rogner sur tout pour augmenter les profits à reverser en dividendes aux actionnaires. Car ce secteur, souvent coté en bourse, est très rentable : L’investissement sur une chambre sénior de 100 000 euros amorti en 20 ans rapportant 500 euros par mois (p 51), vous conviendrez que c’est un bon placement, surtout en ces temps de taux d’intérêt négatifs. Le repas coûte autour de 2 euros (p 37), tant pis pour la culture culinaire du pays et de ses terroirs. Les fournitures sont dispensées au compte goutte, par exemple seulement 3 couches par jour. (p 42) Les services extras, coiffeur, manucure etc., sont souvent monnayés.

Les investisseurs seront contents d’apprendre que le maintien à domicile relève lui-aussi de plus en plus du privé. (p 43) Aussi pour 2000 euros/mois vous aurez droit à 4 heures de présence. Si votre pension est moyenne, il faudra vous adapter.

Aspects institutionnels.

Si les auteurs déclarent, démonstration à l’appui, que les Ehpad sont « des zones de non-droit » (p 24) avec leurs lots de négligence et de maltraitance, il convient d’insister sur l’existence de fait de toutes les instances nécessaires qui sont normalement vouées à empêcher ces dérives inhumaines. Lesquelles, pour rappeler le jugement porté par Germaine Tillion dans un autre contexte, sont fatalement aggravées à proportion du sentiment d’impunité des dirigeants et de leurs cadres et employé.e.s. Car, comme un Roi Midas inversé, la privatisation pourrit tout avec sa « mentalité acquisitive » et la complicité institutionnelle qu’elle engendre et qui impacte fatalement le secteur public en lui coupant l’herbe sous les pieds. L’Agence Régionale de Santé – ARS – dispose du pouvoir de contrôle et d’inspection. Des Conseils de la Vie Sociale dans les Ehpad – CVS – font intervenir les citoyennes et citoyens, des groupes Internet existent qui réussissent parfois à dénoncer les abus. Cependant, on ne peut servir deux maîtres à la fois. Ainsi, la privatisation en peut jamais être humainement conjuguée avec le système de Santé ou pire encore avec l’organisation de la fin de vie.

Ceci explique également les dérives vers l’euthanasie sous la phraséologie fumeuse de la « mort dans la dignité ». Des dérives souvent matérialisées avec la volonté, sans état d’âme particulier, de certain.e.s de légaliser le tout sans le moindre réel contrôle des principaux intéressés … Comment un malade en fin de vie pourrait-il décider sans contrainte si les hôpitaux continuent d’être gérés pour maximiser les postes lits, donc le profit, et si la pauvreté créée une dépendance matérielle et psychologique directe ? De fait, nous savons que dans les pays ayant légalisé l’euthanasie, il arrive souvent que les malades reviennent in extrémis sur leur testament biologique. Sans doute faut-il respecter le droit de chacun de choisir pour soi-même mais en soulignant qu’un contrat honoré sous contrainte, même un contrat capitaliste, est de facto nul et non avenu. Tant que le code d’éthique restera digne de son nom, un crime restera un crime malgré ses déguisements.

De fait, les auteurs se sont attachés à démontrer la faillite totale des Ehpad actuelles lorsqu’elles furent soumises au choc extérieur imposé, non pas par le Sars-CoV-2, mais plutôt par la mauvaise gestion gouvernementale et institutionnelle de cette pandémie pourtant annoncée avec suffisamment d’avance depuis son apparition à Wuhan.

Nous avons tous été horrifiés par les trop nombreuses lacunes qui furent alors révélées. Puis par le taux de surmortalité. Les auteurs en dressent un inventaire qui ferait frissonner d’effroi un Joseph Conrad, pensez un citoyen ordinaire. Ils donnent la parole à une intéressée, Cécile, 91 an, ancienne professeure de français : « C’est de « l’eugénisme contre les vieux » » affirme-t-elle. (p 89). Elle ne savait pas si bien dire. Il fut rapporté par la presse qu’afin de ne pas saturer les hôpitaux, une directive permettait d’opérer un triage pour les 65 ans et plus. (Pour cette priorisation voir : https://www.espace-ethique.org/sites/default/files/reanimation_decision_7.04.20_.pdf ) Ce tri concernait surtout les hôpitaux. Les Ehpad n’étaient pas en reste : les auteurs relatent les méthodes d’euthanasie passives ou actives sous couvert de l’utilisation temporaire du Rivotril avec ses effets calmants, grâce à deux décrets successifs avec l’aval de Mme Buzyn, celui du 28 mars au 15 avril 2020 (p 84) et de nouveau le 26 mai 2020. (p 87). Ce médicament déconseillé en cas de difficultés respiratoires fut largement prescrit aux séniors atteints du Covid-19, lesquels, faute de soins, ne parvenaient plus à respirer !!! Comme on sait, sous la ministre Buzyn, l’hydroxychloroquine, très efficace pour diminuer et supprimer la charge virale surtout lorsqu’elle est administrée dès les premiers symptômes, avait été inexplicablement désignée comme « vénéneuse » malgré une utilisation mondiale sans problèmes cliniques depuis plusieurs décennies … Il semble que le Rivotril fit ici fonction de tests moléculaires et de « traitement ». Ainsi, fin mai 2020, on comptait plus de 10 500 morts dans les Ehpad, soit 1/3 du total.

Les employés, souvent laissés sans protections individuelles conformes aux normes, firent ce qu’ils purent, souvent avec héroïsme bien que le personnel soignant et de soutien récuse le terme, surtout lorsqu’il s’accompagne d’éloges institutionnelles de la part d’un gouvernent néolibéral et monétariste comme aucun autre avant lui mais qui, en pleine crise, conçoit un plan de relance qui coupe encore dans le financement de la Santé publique et dans les services sociaux – retraites, assurance-chômage etc . Il le fait cependant sans oublier d’inclure une 5 ème branche à la Sécu puisque l’avenir est à la privatisation du maintien à domicile … sur fonds publics. (1) Ainsi dans les Ephad, 87 % des employé.e.s sont des femmes et l’on y compte ordinairement plus de 3 fois le nombre d’accidents que dans le secteur BTP. (p 72-73) On imagine la situation. En somme, la gestion « école de commerce » (p 76 ) ne fait pas dans la philanthropie ni dans la dentelle …

Les abus tutélaires.

La description de l’horreur humaine relatée dans ce livre essentiel continue par la révélation des dessous des « Abus tutélaires, un nouveau sport national ». (p 117) Les familles sont souvent dépossédées de leurs choix. Les tuteurs – 600 euros/mois au tarif standard, p 120 – et les curatelles explosent, aux frais des personnes âgées. Un business rentable. 700 000 majeurs sont ainsi placés sous tutelle en France, pays déjà condamné dans ce domaine par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. (p 161) On ose à peine imaginer ce qui se passe ailleurs !

Il est vrai que le système en France remonte au système tutélaire mis en place par le régime de Vichy en 1942 … En 1997, l’exemplaire Premier Ministre de la Gauche plurielle M. Lionel Jospin avait voulu réformer ce système archaïque, ce qui donna lieu à un rapport paru en 1998 que les auteurs jugent « salubre» puisqu’il restreignait le champ des abus médicaux et ceux dus aux notaires. (p 162-163) Le projet de réforme qui en sorti fut « enterré par les successeurs de Lionel Jospin » (p 164). Ces efforts et ceux qui suivirent, par exemple sous la pression de la Cour des Comptes dirigée alors par M. Ph. Séguin, se heurtèrent au néolibéralisme triomphant à la Ludwig Mises (voir la Note 8 de mon article sur le système de santé : http://rivincitasociale.altervista.org/la-sanita-tra-tagli-e-corruzione-una-vittima-eccellente-del-federalismo-fiscale/ . Une version anglaise est disponible dans la Catégorie « Another America is possible » )

Personne ne sera donc étonné de lire ce qui suit concernant la réforme de 2017 en la matière: « … deux ans plus tard, Edouard Philippe, Agnès Buzyn et Gérard Darmanin allaient signer de concert un décret pour modifier les modalités de financement des tuteurs en demandant à tous leurs protégés, dont la moitié vit en dessous du seuil de pauvreté, de participer davantage au coût de leur protection ? » (168) Ceci ouvre la porte à toutes les dérives et les abus, institutionnels, notariaux et familiaux. Sans forcer la note, j’ai théorisé ce genre de dérives sociales clairement marquées au sceau du philosémitisme nietzschéen comme un « retour » forcé à la société de la nouvelle domesticité et du nouvel esclavage, la société de l’Homme Juste Schindler et de son comptable élu Stern … Certains séniors de plus de 65 ans et plus furent effrayés en entendant parler de « triage »; les auteurs rapportent les propos de celles et ceux qui, déjà informé.e.s par la situation générale dans les Ehpad, n’hésitent plus à penser au suicide plutôt que d’y finirent. Prêts donc à rédiger « en toute liberté » leur testament biologique … Un échec ? Une « faute » ?

En marche donc vers la privatisation rentable des cimetières et des services funéraires qui étaient jusqu’à peu sous contrôle de régies municipales. « Le marché des morts ! » (p 197) est ainsi érigé. Le jeu de l’offre et la demande fera le reste. Le profit dansant dans les cimetières à minuit ? On pourrait dire avec Wittgenstein que ceci fournit une image « signifiante ». La dénonciation en 2019 par la Cour des comptes de la loi Sueur de 1993 ouvre ces services à la concurrence. Le chiffre d’affaire du secteur, qui était de 1.28 millions en 2000, était déjà passé à 2.25 millions en 2015. Démographie aidant, la rentabilité est assurée. Le nombre de morts oscillant bon an mal an autour de 500 000 par an. (p 199) . « Vers les cimetières zones commerciales ? » ironisent les auteurs. (p 210)

Roger Lenglet et Jean-Luc Touly rappellent avec pertinence la contribution essentielle de Simone de Beauvoir avec son livre La vieillesse (p 232) que j’ai également coutume de signaler comme essentiel à l’urgente réflexion sur la gériatrie et la gérontologie modernes. Dans mon Tous ensemble j’avais tenté d’ouvrir le débat en pointant la nécessité d’adapter l’espace urbain et les habitations à la démographie. J’y reviendrais en détail après avoir lu deux autres livres dont celui de Eloi Laurent, Et si la santé guidait le monde ? 2020 et celui de Marie de Hennezel, L’adieu interdit, 2020.

En guise d’anticipation de ma synthèse je soulignerais ici que la longévité moyenne fut due en grande partie aux progrès des mesures d’hygiène public ainsi qu’au développement du Code du travail, dont le temps de travail et la sécurité des conditions dans lequel il s’exerce. La médecine moderne y contribua indéniablement. Mais, aujourd’hui on tend trop souvent à substituer la médecine moderne, souvent payante, à la médecine préventive et curative de masse. C’est une grave erreur que la crise sanitaire a mis à jour sans appel possible.

Ajoutons, que la RTT, avec ses temps pleins et donc son « revenu global net » des ménages réhabilité, permettrait des avances considérables dans ce domaine. En effet, aujourd’hui 11 millions au moins de personnes renvoient les soins de santé faute de ressources alors que les travailleurs meurent de 7 à 11 ans avant leurs cadres, 17 ans pour les camarades égoutiers semble-t-il. Pour l’heure, les citoyennes et les citoyens vivent plus longtemps mais avec un nombre d’années en bonne santé en déclin après 65 ans. Pourtant, au lieu de passer à une nouvelle RTT – à commencer par l’abaissement de l’âge de la retraite – on repousse l’âge de la retraire sans vraiment prendre en compte la pénibilité du travail. La loi des 8 heures journalière fut défendue à l’Assemblée nationale par Jules Guesde sur la base d’un dossier compilé par Paul Lafargue, gendre de Marx et théoricien marxiste de toute première importance quoi que trop largement méconnu. Lafargue était médecin et en cette qualité il avait démontré comment après 8 heures de travail le corps était usé et sa productivité en baisse.(2)

Nous vivons aujourd’hui dans un monde à l’envers qui marche à étapes forcées vers une barbarie d’un autre âge pour qui la société et les vraies valeurs humaines de civilisation n’ont plus droit de cité et doivent rapidement laisser la place à la nouvelle « mentalité acquisitive » spéculative, à la cupidité individuelle forcenée présenté comme loi d’auto-organisation sociale optimum … L’exclusivisme barbare, renaissant depuis 1917 et plus encore depuis 1948, qui lui est intimement associé, déconstruit savamment les codes d’éthiques républicains et médicaux, parce qu’ils sont impératifs et universels par définition. C’est un signe qui ne trompe jamais.

Paul De Marco

1 ) Cette régression n’est qu’un début. En écrivant ce « PASTICHE SUR LA SORTIE DE CRISE, on vous exploitera plus que hier et moins que demain, comme dit la romance, 25 avril 2020 », je croyais forcer la dose, et pourtant il semble que j’avais sous-estimé la chutzpah régressive des surreprésentés en place, de leur présidence et de leur gouvernement. Voir, http://rivincitasociale.altervista.org/pastiche-sur-la-sortie-de-crise-vous-exploitera-plus-que-hier-et-moins-que-demain-comme-dit-la-romance-25-avril-2020/

2 ) « La journée légale de travail réduite à huit heures », Paul Lafargue,   https://www.marxists.org/francais/lafargue/works/1882/02/lafargue_18820226.htm

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