Commenti disabilitati su Sur « La société des égaux » de P. Rosanvallon : Égaliberté ou Emancipation, la Liberté conçue comme Esthétique de l’Egalité, 23 novembre 2023.

Le livre de Pierre Rosanvallon, La Société des Égaux – éd. Du Seuil – date de 2011. Il prend acte des changements en cours marqués par l’explosion des inégalités, tant des revenus que des patrimoines. Les inégalités de revenus et de patrimoines qui avaient décru après 1913 et surtout durant et après la Seconde Guerre Mondiale, du fait de la progressivité de l’impôt sur le revenu, ont recommencé à croître avec l’introduction des réformes fiscales néolibérales monétaristes.

Dans nos sociétés « démocratiques », ces bouleversements reposent néanmoins sur le maintien de l’hégémonie de la bourgeoise. Elle sait jouer de la tension, pour l’auteur originelle, entre égalité et liberté. Mais il s’agit d’une tension bancale, transformée en opposition aristotélicienne indépassable qui nécessiterait par conséquent toutes sortes de contorsions et de médiations politico-sociales, alors que leur relation dialectique – égalité = Nature ; liberté = Histoire, les deux étant conjuguées par le Sujet, Individu ou classe sociale – se résout de manière concrète, historiquement, institutionnellement et idéologiquement par le degré d’émancipation humaine atteint selon la logique de la lutte des classes et des alliances de classes.

L’Homme étant un animal social doté d’une conscience, les inégalités, ou plutôt les différences naturelles, sont en réalité la condition de survie de l’Espèce, c’est-à-dire un ensemble spécifique dont tous les membres sont égaux, par définition, au sein de son environnement. Les différences institutionnelles et par conséquent aussi les diverses intelligences relèvent également de ce processus d’adaptation, de survie et de façonnement, l’Espèce humaine étant bien plus capable de s’adapter aux changements que les autres Espèces animales qui comptent uniquement sur leurs instincts. Elle le fait en intervenant directement sur la Nature et les institutions sociales. Dans ce double devenir, les différences ont égale dignité et sont toutes également nécessaires à une société harmonieuse ainsi que l’expliquait déjà Joachim de Flore. (ici) Ceci est d’autant plus vraie que la société se complexifiant, la division sociale du travail estompant ainsi les différences.   

Pour cette dialectique sur laquelle repose le matérialisme historique, je renvoie à mon Introduction méthodologique ici. L’auteur fait peser toute son analyse sur le concept d’égalité, alors que le vrai problème repose sur celui de la liberté concernant les Êtres humains membres d’une Espèce sociale à reproduction sexuée, que ce soit naturellement ou artificiellement. Or, la Liberté conçue comme Esthétique de l’Egalité concrète ne relève pas uniquement du libre-arbitre, du choix individuel radical ou du choix en harmonie avec des limites naturelles ou institutionnelles, dont psychiques, elle n’est rien d’autre que l’Emancipation humaine qui, selon Marx, ouvrira la porte de l’Histoire à une Humanité encore sujette à la Préhistoire de l’exploitation de l’Homme par l’Homme.

Le marxiste canadien Stanley Ryerson, bien ancré dans le bilinguisme fondateur de son pays et les luttes de classes nationales et mondiales avait concédé un manque de « liberté » en URSS ; il inventa ainsi ce néologisme « égaliberté » pour indiquer que la lutte pour une meilleure synthèse restait aussi inévitable que nécessaire. Balibar ne fit qu’emprunter le concept sans le comprendre. (1) Il ne s’inscrivait donc pas uniquement en réaction aux évènements qui avaient cours dans le Bloc de l’Est mais surtout à ceux qui prévalaient dans le processus de modernisation bilingue de son propre pays et dans la lutte visant à intégrer la Charte des droits fondamentaux dans la Constitution « coloniale » de 1867. Au fond, c’est à la marche de l’émancipation humaine qu’il aspirait, celle du Triptyque de l’Émancipation analysé par Marx dans sa critique de la philosophie du droit de Hegel reposant aussi largement sur le rejet de l’exclusivisme déjà bien analysé par exemple par Thomas Paine dans son Rights of Man. Nous avons donc l’émancipation religieuse atteinte grâce à la laïcité, l’émancipation politique atteinte par l’égalité formelle ou liberté de tous les citoyens devant la loi et dans la prise de décision, soit la démo-cratie, et enfin l’émancipation humaine lorsque tous les citoyens et citoyennes pourront participer à égalité dans les processus de prises de décisions concrètes en particulier en ce qui concerne la réallocation des ressources de la Communauté pour le bénéfice de la Communauté et de tous ses membres en privilégiant les priorités sociales communes. Dans une telle société le Domaine de la Nécessité économique, qui assure les conditions matérielles d’existence des Êtres humains, prendra toujours moins de place, ouvrant ainsi la voie au développement du Domaine de la Liberté socialiste.  

De fait, la poussée citoyenne républicaine et égalitaire ne tomba jamais dans le travers d’une telle opposition stérile. Au fronton de la République fut inscrit dès le départ : Liberté, Egalité, Fraternité, cette dernière devant assurer les bases matérielles d’existence des deux premières par la solidarité socio-économique et politique. Tous les premiers théoriciens de la République, de Thomas Paine, à Babeuf ou Buonarroti, avaient déjà entrevu un système de solidarité sociale ou « welfare » selon l’expression anglaise, pour tenir compte de la force de travail inactive par nécessité. Winstanley en Angleterre les avait devancé. Condorcet que Rosanvallon cite à juste titre distinguait bien trois espèces d’égalités, selon la  richesse, selon l’instruction et selon les accidents de la vie, mais ce dernier point le porta à appliquer ses connaissances des probabilités pour imaginer un système d’assurance vieillesse. (p 50) . Nous verrons plus bas que ce troisième principe, la Fraternité, fait toute la différence pour comprendre les perceptions de l’égalité que la bourgeoise est capable de manipuler selon les Époques de redistribution du Mode de production capitaliste, c’est-à-dire selon la logique particulière d’un régime d’accumulation du capital. L’expression énonçant que la Liberté est l’Esthétique de l’égalité est de Lénine, lequel connaissait bien Kant.       

Rosanvallon fait totalement abstraction de cette dialectique et s’emprisonne dans toute une série de représentations purement idéologiques de la supposée opposition entre égalité et liberté ; il le fait, en outre, sans jamais tenir compte des processus de production-reproduction-redistribution sociale, qui sous-tendent ces représentations. Nous sommes ainsi destinés à tourner en rond, accentuant ceci ou cela dans une lutte des classes pérenne mais sans aucun espoir de dépassement. C’est en quelque sorte la « fin de l’Histoire » d’une conception purement sociale démocrate frisant le social libérisme. Au mieux en s’en tenant aux superstructures bourgeoises il distinguera entre égalité-équivalence, égalité-autonomie et égalité-participation. (p 22) ; ces différentes formes seraient déclinées par la tension sociale entre des systèmes « d’égalité-distribution » et « d’égalité-relation ». (p 351) En suivant Claude Lefort (p 57) il considère que la conquête du suffrage universel – individualisé – représente le « point zéro de la société » alors que tout l’enjeu est de soumettre la propriété collective et l’allocation des ressources dans la reproduction élargie à ce suffrage universel. L’intérêt résiduel de son livre tient à un choix méthodologique : voulant apporter une contribution originale, il se tient à l’écart des formalisations habituelles préférant aller réinterroger les textes théoriques-idéologiques moins connus qui informèrent les exposions historiques et théoriques qui nous sont plus familières.   

Cette fausse opposition aristotélicienne est en effet déjà contenue dans les réflexions qui portèrent à la rédaction de la 1ère Constitution de la Révolution française. Ainsi Sieyès dans Qu’est-ce que le tiers état, dénonce les privilèges au nom de l’égalité humaine : « Le privilégié, écrivait-il, se considère avec ses collègues comme faisant un ordre à part, une nation choisie dans la nation (…) Les privilégiés en viennent réellement à se regarder comme une autre espèce d’homme » (p 27) D’un autre côté, Tocqueville critique l’univers aristocratique : « c’est à peine s’ils croient faire partie de la même humanité, notera-t-il en une formule célèbre. D’où, à l’inverse, sa définition de la démocratie comme société de semblables » (p27) laquelle mènerait au nivèlement et à la « médiocrité » selon son analyse des Etats-Unis à son époque.     

Selon Marx le Mode de production capitaliste induit une mentalité acquisitive fondée sur la nécessité de l’accumulation capitaliste, le capital inerte n’existant pas en tant que capital. A la fin, le développement des forces productives, à savoir la croissance imparable de la productivité entraînée par la compétition, sociale et/ou technique, entrera en contradiction avec les rapports de production ; c’est pourquoi Marx dit que le capitalisme crée ses propres fossoyeurs : le travail libéré réduit à la précarité et au chômage cherchera à rétablir un équilibre, en particulier par le développement accru de la RTT et de la socialisation des Moyens de production et d’échange. Entre-temps, comme à ses débuts dans sa lutte contre le féodalisme, la bourgeoisie tente de bâtir son hégémonie sur une idée restreinte de la liberté et de l’égalité, en cherchant à les rendre compatibles avec son processus d’accumulation privée qui mène à la marchandisation du monde entier outre la marchandisation de la force de travail et de sa reproduction. Vu par Marx ce devenir historique mène au dépassement du Mode de production capitaliste et à un degré plus haut d’émancipation humaine.

Pour l’auteur, ce procès dialectique prend la forme psychologique appauvrie et moralisante du Paradoxe de Bossuet : « … cette situation dans laquelle les hommes déplorent en général ce à quoi ils consentent en particulier. (…) … les individus se projettent abstraitement, alors que leurs comportement personnels sont concrètement déterminés et s’appuient sur des formes beaucoup plus étroites. On voit ainsi fréquemment, pour ne prendre que cet exemple, les jugements accablants sur l’injustice du système éducatif voisiner avec des comportements individuels d’évitement des obligations de la carte scolaire » (pp 17-18) Pour Marx, cette psychologie subalterne ou partielle n’est rien que le résultat des contraintes capitalistes sur des Individus exploités ne maîtrisant pas leur propre destin mais toujours capables d’imaginer un monde meilleur. 

Sur ce hiatus comportemental, que je suppose pérenne pour l’auteur, se développeraient les différentes déclinaisons de l’égalité sous l’hégémonie intéressée de la bourgeoise. A la limite, sur une telle base, en faisant abstraction des forces productives et des rapports de production, on peut tourner en rond indéfiniment. On le voit, l’occultation du devenir de l’émancipation humaine mène à un cul-de-sac.

Nous en donnerons deux exemples analysés par l’auteur, celui de « l’égalité dans la séparation » et celui du protectionnisme identitaire national de Maurice Barrès et consorts.     

Suite à la victoire du Nord sur le Sud mettant fin à la Guerre de Sécession américaine – 1861-1865 – l’esclavage fut formellement aboli. Puis dans le cadre des Reconstruction Amendements, les 13, 14,15èmes s’étalant de 1865 à 1870, le 15ème Amendement fut promulgué le 3 février 1870 pour reconnaître le droit de vote inaliénable à tous les citoyens indépendamment de toute considération de race, de couleur ou de servitude antérieure. (voir ceci) Cependant, le 14ème Amendement, qui ne reconnaissait les droits civils qu’au niveau étatique, ne permettait pas d’abolir la discrimination raciale opérée dans le secteur privé. Furent ainsi posés les jalons légaux sur lesquels se développèrent toutes les lois et les comportements pervers inhérents à la ségrégation raciale. L’« égalité dans la séparation » s’ingénia à inventer toutes les mesures de déshumanisation et d’exclusion politique et sociale possibles et imaginables. C’est ce que l’on appelle les Lois Jim Crow. « Les lois Jim Crow ont été confirmées en 1896 dans l’affaire Plessy contre Ferguson, dans laquelle la Cour suprême a exposé sa doctrine juridique “séparés mais égaux” concernant les installations destinées aux Afro-Américains. En outre, l’enseignement public était essentiellement ségrégué depuis sa mise en place dans la majeure partie du Sud après la guerre civile de 1861-1865. Les lois sur les compagnons excluaient la quasi-totalité des Afro-Américains du droit de vote dans le Sud et les privaient de toute représentation gouvernementale. » (traduction, Jim Crow laws – Wikipedia )En guise de brève illustration voici une autre citation : « Entre 1890 et 1910, dix des onze anciens États confédérés, à commencer par le Mississippi, adoptent de nouvelles constitutions ou des amendements qui privent de fait la plupart des Noirs et des dizaines de milliers de Blancs pauvres de leur droit de vote par le biais d’une combinaison de taxes électorales, de tests d’alphabétisation et de compréhension, et d’exigences en matière de résidence et de tenue de registres[23][24] Les clauses de grand-père permettent temporairement à certains Blancs analphabètes de voter, mais n’apportent aucun soulagement à la plupart des Noirs.
Ces mesures entraînèrent une chute spectaculaire de la participation électorale dans tout le Sud. » (idem)

On ne s’étonnera pas de l’emphase que Rosanvallon fait porter sur l’émergence de représentations racistes et discriminatoires visant à départager les « mérites » jugés intrinsèques des individus que le suffrage universel masculin considère néanmoins également comme des électeurs. La stigmatisation plus ou moins explicite des « classes dangereuses » et entre genres reposera sur des développements pseudo-scientifiques contestables. Ceci se vérifie avec le développement du darwinisme social, celui de l’inégalité des chances selon la phrénologie de Franz Joseph Gall, celui du QI d’Alfred Binet, celui de la Bell curve de Hermstein et Ch A. Murray, pour aboutir aux théories de Gobineau et consorts. (p 139 et suivantes). Si nous voulions compléter le décompte la liste serait longue et ne pourrait faire abstraction de Nietzsche ou même du nietzschéen Freud. Je m’en tiendrais ici aux économistes bourgeois. Merger, le même qui contribua a fonder le concept bancal « d’utilité » malgré l’évidence selon la quelle toute marchandise, y compris la force de travail, est duale, donc dotée d’une valeur d’échange et d’une valeur d’usage sans quoi « le calcul des joies et des peines » déterminant l’utilité reste subjectif et élastique. Il inventa également la notion de « life chances » dans un sens différent du « plain level field » des théoriciens républicains américains comme Th. Paine.

De fil en aiguille, ce concept permettant de prétendre à une égalité formelle au départ tout en entérinant les inégalités réelles socialement surdéterminés dans les processus et les résultats, fut repris par Max Weber. Sa sociologie en partie inspirée par Sombart, Bernstein et al., tentait de prendre acte et de justifier l’émergence d’une classe moyenne scolarisée, liée au développement des bureaucraties privées et étatiques, dont le « mérite » justifiait la position sociale par rapport au prolétariat ouvrier. C Wright Mills élaborera avec sa théorie des « cols blancs ». Suivirent celle des « technostructures » reflétant au niveau étatique la distinction dans l’entreprise entre propriétaires et managers – Domhoff, etc. Cette technostructure avait accompagné l’émergence des contrepoids démocratiques, y compris les syndicats appuyés par un nouveau code du travail protégeant la négociation collective. Elle alla de pair avec l’Etat social – ou Welfare State anglo-saxon – le démantèlement de ce dernier conduisant à son remplacement par les cabinets de conseils privés. Pour l’analyse des technostructures et des contrepoids je renvoie à la Note 15 sur John Galbraith dans mon Keynésianisme, Marxisme, Stabilité Economique et Croissance, 2005. Comme le démontre le rôle de légitimation politique du « mérite » selon M. Weber, ces développements influencent grandement la composition et la conscience des classes en présence et donc la stratégie visant à forger les alliances de classe tant pour la bourgeoise que pour le prolétariat. Ces relations dialectiques font défaut dans l’horizon épiphénoménal de Rosanvallon.

Concernant le mérite, et par conséquent la légitimation de l’échelle salariale la pédagogie moderne sait combien la réussite scolaire dépend de la position de classe et de genre des individus, donc des normes langagières et comportementales tacites qui doivent être respectées. Le suffrage universel créant la hantise bourgeoise du Nombre, celui des « classes dangereuses », contre les privilèges, Boutmy alla jusqu’à concevoir les différences fondées sur l’éducation comme la barrière de classe ultime à opposer à ce danger. (2) Je renvoie à ce sujet à l’Annexe Spoliation  de mon livre Pour Marx, contre le nihilisme – 2002. C’est pourquoi l’idéal communiste, tant pour Marx que pour J. Guedes, reste le partage du travail disponible  avec l’égalité des salaires, l’échelle salariale extrêmement réduite ne variant en fait réellement que par la durée du travail accompli.  Puisque, selon Joachim de Flore, toutes les formes d’intelligences ont égales dignité et sont toutes aussi nécessaires pour une société harmonieuse , l’accessibilité permanente et gratuite à l’éducation supprime la valeur différentielle des diplômes, ceux-ci ne valant plus pour légitimer une présumée supériorité humaine ou sociale mais plutôt pour la participation collective dans la division du travail. L’expérience du socialisme réel a démontré que ceci n’est pas une illusion puisque la démocratisation socialiste de l’éducation et de la culture fit des prodige dans tous les domaines.                 

La République avait littéralement coupé le cou du « droit divin » pour établir l’égalité et le droit de vote de « citoyens ». Surgissait alors pour les possédants, reliques de l’Ancien Régime et nouvelle bourgeoise, la hantise du Nombre et de son expression démocratique. Que d’efforts déployés aujourd’hui encore pour y faire barrage. L’hystérie bien connue de Flaubert durant la Commune de Paris a ses antécédents. Par exemple, suite à la révolte des Canuts de Lyon en 1831 qui suivit de près la Révolution dévoyée de Juillet 1830 pour finir avec Louis-Philippe, roi des Français. Citons Rosanvallon : « On peut parler à ce propos de véritable bombardement idéologique. Saint-Marc Giradin, qui s’était illustré en qualifiant en 1831 les canuts en révolte de « barbares », sera le premier à lancer l’offensive pour ôter toute mauvaise conscience à la bourgeoisie. La misère est le châtiment de la paresse et de la débauche. Voilà les enseignements que nous donnent l’histoire », avait-il froidement lancé en 1832, depuis la tribune de la Sorbonne. Des tombereaux de livres et d’articles déclineront ces expressions pendant la Monarchie de Juillet. Dans sa somme consacrée aux « classes dangereuses », qui fera référence à l’époque, Frégier ira encore plus loin. Il criminalisera en effet le monde ouvrier en élargissant la catégorie des « classes pauvres et vicieuses » à celle des classes dangereuses. Il ne suffira plus pour lui que le prolétaire soit considéré comme un misérable et un dépravé, il fallait encore voir en lui la plus terrible des menaces » (p 128)

On voit comment fonctionne le mécanisme d’exclusion et comment il s’adapte à l’évolution des forces productives et des rapports de production. Les classes dangereuses le sont indépendamment de leur ethnie, de leur religion etc. pour autant qu’elles aient le potentiel de porter à un dépassement de l’ordre bourgeois et derrière lui de celui reposant sur l’exploitation de l’Homme par l’Homme. La banlieue est ainsi traitée aujourd’hui ; pire, pour la stigmatiser encore plus, on inventa une « menace islamiste » externe et interne par le biais des inepties théocratiques racistes des chocs de civilisation et de la doctrine des guerres préventives pensée pour détruire tous les rivaux économiques et militaires potentiels du putatif empire judéo-américain et plus exactement philosémite nietzschéen et de leur « temple » (de Salomon) à « reconstruire » bien qu’il n’existe aucune preuve historique ou archéologique de son existence  – si beau, prétend-on, qu’il obscurcissait la vue (sic !)

Pour s’emparer du pouvoir la « bourgeoise conquérante » fit une alliance avec le peuple en chantant les louanges de la « liberté, égalité, fraternité ». Pour sauver son nouveau Mode de production, elle dût très rapidement se dissocier de lui, le diviser et le dominer, ravalant ainsi ses principes à leur expression formelle la plus étriquée.

C’est pourquoi, paradoxalement, la condamnation des dérives exclusivistes redeviennent d’actualité. La condamnation dans Rights of Man de Thomas Paine de l’exclusivisme de la Tradition défendu par Edmund Burke contre la Révolution française garde toute sa charge libertaire, sociale et démocratique. Il en va de même mais définitivement cette fois-ci avec la Question juive de Marx.

Certains aveugles plus ou moins complaisants et/ou complices ont pu ne pas s’offusquer lorsqu’un juif-français comme Finkielkraut théorisa publiquement la « séparation » sans recevoir la moindre critique – à part la mienne – tout en conservant son poste dans l’Ecole polytechnique républicaine.  Avec le génocide perpétré sous nos yeux contre les Palestiniens en Cisjordanie, à Jérusalem Est et à Gaza par l’Etat colonial et d’Apartheid israélien – officiellement depuis le 18 juillet 2018 – on voit bien que le projet de « retour » exclusiviste ne comprend pas uniquement la destruction de la Palestine et des Palestiniens comme peuple, mais plus largement la soumission de tous les peuples gentils – goyim ravalés à un rang infra-humain – destinés à être « palestinisés » et « dalitisés ». (voir ceci et ceci )

 Il s’agit bien de la tentative renouvelée de résoudre les contradictions insurpassables du Mode de production capitaliste par un « retour » forcé à un régime de domination de l’Homme par l’Homme débarrassé de toutes prétentions à l’égalité, à la liberté et à la fraternité humaines. C’est bien d’une tentative de retour à la société de la nouvelle domesticité et du nouvel esclavage qu’il s’agit. Je renvoie ici à mon Pour Marx, contre le nihilisme – 2002 – ainsi qu’à la Section Racisme, Fascisme et Exclusivisme de mon vieux site expérimental.

Cette fois-ci la tentative de domination implique « la séparation dans l’inégalité » théocratique-raciste la plus crasse, voulue par des putatifs « Maîtres du monde » – ce qui faisait rire le Romain Suétone … – des êtres capables de penser des thérapies à ARN messager moins qu’expérimentales, cuisinées par un vétérinaire en moins de trois mois et dont la formule effectivement injectée en masse fut changée en cours de production, le tout dans le cadre de l’invention de Nouvelles Lois de Manu, impliquant le rêve de destruction définitive de l’égalité inhérente à l’Espèce humaine par l’invention en laboratoire de sous-espèces. Ce que d’aucuns prennent pour une expression de l’ « humanisme » ! Pour la dérive vers de Nouvelles Lois de Manu voyez la Brève du 25 avril 2022 ; la traduction française est disponible au chapitre 12 ici. Pour l’aspect criminellement expérimental des pseudo-vaccins contre le Sars-CoV-2, voir par exemple la Brève du 11 novembre 2023 en cliquant ici. (Il suffit de traduire avec un traducteur en ligne par exemple www.deepl.com )

D’ailleurs, si l’on en croit des néo-fascistes génocidaires – et suicidaires – juifs-sionistes comme Netanyahu et ses généraux et conseillers, les Palestiniens – et leurs supporters – ne seraient que des « animaux » qui ne sont plus concernés par l’égalité alors qu’eux-mêmes seraient l’avant-garde des « enfants de la Lumière », dans un combat « civilisationnel ». Ce qui leur vaut d’être accusés devant la Cour Pénale Internationale – voir ici – et devant celles de l’opinion publique et de l’Histoire.  

Bref, dès que vous établissez une fausse opposition aristotélicienne vous êtes condamnés à en développer « logiquement » toutes les expressions possibles, jusqu’aux plus perverses. C’est ce que fait l’auteur peu soucieux de pensée dialectique. 

Autre exemple de ces dérives, celui du protectionnisme identitaire nationaliste de Maurice Barrès et al. Lorsque un Piketty tente d’offusquer la lutte des classes en représentant des « conflits », électoraux, qui, plus est, seraient marqués de manière prépondérante par la variable « identitaire », il n’y a vraiment rien de neuf sous les cieux. De fait, lorsqu’on lit les pages que consacre Rosanvallon à ce sujet dans le livre examiné ici, on est saisi par le manque d’originalité des nouvelles droites en France, avec peut-être la marque littéraire en moins.

L’auteur décrit « L’âge d’or du national-socialisme. C’est avec l’établissement de la Troisième République que le national-protectionnisme va imposer en France sa marque. La conjoncture économique a été le facteur déclenchant, cet établissement coïncidant avec le début de la grande dépression marquant la fin du XIX siècle, en même temps qu’avec les bouleversements engendrés par la première mondialisation » (p 190)

Marx et Lafargue ont été les premiers à analyser le passage du capital bancaire au capital industriel ce qui mena à la conquête coloniale pour assurer l’approvisionnement en matières premières ainsi que de nouveaux débouchés ; suivit la crise caractérisée par Marx pour la première fois comme une crise du crédit, ouvrant ainsi la voie à ce qui deviendra la nouvelle forme hégémonique du capital, le capital financier – Marx, Lafargue, Hobson, Hilferding, Lénine etc. Cette difficile transition est à la base de la tentation de repli qui pris la forme du « national protectionnisme ». Au lieu de baisser les heures de travail, on préféra diviser les prolétaires entre-eux et faire de la démagogie avec l’exclusion des « étrangers ». Il faudra attendre la « Loi de 1906 instituant la semaine de six jours (jour de repos hebdomadaire).» Puis la Loi du 23 avril 1919 instituant la semaine de quarante-huit heures et la journée de huit heures. » https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9duction_du_temps_de_travail_en_France ) pour avancer vers la réduction du temps de travail. En 1905 fut créée la Section Française de l’Internationale Ouvrière, c.-à-d. de la Seconde Internationale. En 1919, avec le Traité de Versailles, la bourgeoise apeurée par la Révolution d’Octobre, initia la série de concessions qui mena, après la Victoire de Stalingrad, à la constitutionnalisation des droits sociaux et syndicaux fondamentaux. Ce fut le cas dans les Constitutions anti-nazi-fascistes d’après-guerre ainsi que dans la Déclaration Universelle de Droits Fondamentaux Individuels et Sociaux de 1948 qui accompagnent et renforcent la Charte de l’ONU écrite sous la même inspiration.

Cette difficile transition de la logique d’accumulation du capital, qui donne lieu à une crise économique et sociale au lieu d’être résolue par le partage plus équitable du travail social disponible, mena à la démagogie de l’exclusion des plus vulnérables, les « étrangers ». Evidemment, ceux-ci étant néanmoins nécessaires au capital au bas de l’échelle salariale effective, l’enjeu principal de cette démagogie – en réalité, hier comme aujourd’hui – visait uniquement à diviser les travailleurs entre eux en faisant miroiter un consensus économiquement avantageux sur la base d’une identité fictive, à savoir une identité nationale « française » plutôt que l’identité constitutionnellement légitime aux yeux de la constitution et des lois, à savoir l’identité des droits entre citoyens et résidents reҫus sur le territoire de la République. On sait que la Révolution française forgea le peuple des citoyens français, processus dont une des plus grandioses étapes fut « l’amalgame » des citoyens en armes,  indépendamment de leurs régions d’origine, en particulier, au front, à Valmy. La Commune de Paris ouvrit la porte large aux « étrangers » en annonçant l’Internationale en acte.      

Maurice Barrès, écrit l’auteur : « … fut ainsi le premier à utiliser en 1892 le mot « nationalisme » pour désigner une forme de politique intérieure. C’était donc une vision qui n’avait plus rien à voir avec celle de Michelet ou de Renan. Pour Barrès, la perspective nationaliste était celle qui accomplissait pleinement l’idéal d’un « protectionnisme ouvrier » (l’expression était alors fréquemment utilisée), tandis que le socialisme ne pouvait qu’échouer à lui donner forme. Il y avait en effet la promesse d’une efficacité immédiatement lisible avec le national-protectionnisme » (p 195-196) L’efficacité en question est bien entendu celle du régime d’accumulation. Barrès se fit le chantre autoproclamé de « l’égalité négative » celle de « la « foule des petits », petit capitalistes et petits travailleurs mêlés, par rapports aux « grands barons » ou aux « grands féodaux. » La dénonciation d’une « redoutable ploutocratie d’exotiques » conduisant en outre chez lui à superposer les deux dimensions » (p 201) Ceci donne naturellement cours au déferlement de la politique du ressentiment.

« C’est pendant cette campagne – législatives de 1893 – que Barrès se fera connaître en publiant un pamphlet incendiaire, Contre les étrangers. Le texte, véritable  manifeste politique, est une sorte de synthèse des grands thèmes du protectionnisme xénophobe de l’époque : taxe spéciale sur les employeurs utilisant de la main-d’œuvre étrangère ; expulsion de ceux qui tombent à la charge de l’assistance publique ; préférence nationale systématique en matière d’embauche . Mais il est aussi intéressant de souligner que Barrès liait directement cette vision à une philosophie de la solidarité et de l’égalité. Chez lui, l’idée de patrie redéfinissait complètement la question sociale. » (p 198)

L’auteur poursuit : « On ne s’étonne pas de trouver les formulations les plus violentes et les plus outrées sous les plumes exaltées et haineuses de la nouvelle extrême droite qui prend son envol sur ce registre. Les brochures publiées par la Ligue pour la protection du travail national en ont constitué un bon exemple. Il y était question  à longueur de page d’ « envahissement », d’ « invasion », d’« infiltration ». On y parlait des ouvriers étrangers comme des criminels et des fauteurs de troubles. Quant à ce qui était qualifié de « marée montante des naturalisations », on y voyait la menace que ces « actes contre nature » conduisait à ce que la « race française sera sûrement débordée avant peu ». Mais le ton n’était pas très différent chez certains notables républicains » (p 198-189) On ne sera pas étonné d’apprendre que : « les manifestations de rue contre les étrangers se multiplieront en conséquence dans les années 1890. (…) Incidents parfois sanglants, comme en 1893 à Aigues-Mortes dans une attaque ultraviolente contre les Italiens qui aurait fait cinquante morts, ou à de multiples reprises contre les Belges dans le Nord. Les syndicats et les divers partis socialistes s’opposèrent à ces réactions, mais ils ne purent en contrôler le surgissement » (p 200)

Comme on le voit la problématique reste d’actualité. Aujourd’hui on dirait que l’Histoire bégaie à la différence près que le nouveau national-protectionniste sert à masquer l’insertion subalterne de la Formation Sociale Nationale dans un Ordre mondial impérialiste libre-échangiste déclinant qui est fortement contesté par la monté des Brics et du Nouvel Ordre Multilatéral fondé sur la Charte de l’ONU – non ingérence dans les affaires internes des Etats souverains, etc. – et sur la Déclaration Universelle des Droits Fondamentaux Individuels et Sociaux. Cet ordre impérial philosémite nietzschéen prend chaque jour d’avantage la forme d’un « retour forcé vers la nouvelle domesticité et le nouvel esclavage » décrit dans mon livre Pour Marx, contre le nihilisme -2002 – avec, en prime, le « contrôle des flux d’information autorisés », la « déférence envers l’Autorité » – auto-conférée, c.à.d., en fait une Nouvelle Inquisition –, le tout dans le cadre de la Doctrine –  illégale – de la guerre préventive contre tous les rivaux militaires et économiques potentiels du putatif empire exclusiviste moyennant agressions armées, regime changes et « guerres »  contre le « terrorisme», ce dernier terme n’étant jamais défini légalement.

L’auteur cite à juste titre le tristement célèbre article de Denis Kessler : « « Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde ! » Challenges, 4 octobre 2007. La liste des réformes ? C’est simple, écrit-il, prenez tout ce qui fut mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance. » (p 288, note 1) C’est-à-dire démanteler les droits fondamentaux individuels et sociaux mis en place par l’Etat social d’après-guerre. C’est ainsi que parlent les représentants du Medef, dont Kessler fut vice président. La Banque JP Morgan abondait ouvertement dans le même sens. (voir ici)

Depuis l’attaque du 7 octobre 2023 par la branche armée du Hamas contre l’occupant israélien et les bombardements indiscriminés et sanguinaires de ce dernier, qui commet une série de crimes de guerre génocidaires selon la plainte déposée à la Court Pénale Internationale, ces accusations gratuites se doublent partout dans l’Occident philosémite nietzschéen par d’infâmes accusations « d’antisémitisme » contre toutes celles et ceux qui protestent contre ces crimes Sionistes, en condamnant naturellement tous les crimes de guerre, d’où qu’ils viennent, au nom de la Loi internationale et au nom des principes inscrits dans la Constitution. Comment d’écrire le «soutien inconditionnel » et unilatéral de certains à une agression sanguinaire, poursuivie depuis plus de 70 ans, par un pays occupant institué depuis le 18 juillet 2018 en Etat d’Apartheid raciste et théocratique ? Pourtant, plusieurs l’ont souligné avec courage, toutes les vies se valent.               

Soulignons de nouveau l’inéluctabilité de toutes les déclinaisons induites sur la base de cette prémisse aristotélicienne qui renvoie moins au devenir historique-psychologiques des « moments » de la phénoménologie de Hegel qu’aux saisies analytiques – on pourrait dire « cubistes » avant l’heure – sous différents angles des « diremptions » de Sorel, nécessaires à ses mythes soréliens concoctés à destination des masses.

Rien de nouveau aujourd’hui : eux/nous, nationalité donnée comme identité (raciale, ethnique ), grand remplacement, acculturation et le reste.

Les conditions matérielles d’existence précèdent les représentations que l’on s’en fait. Il en va de même ici surtout si l’on ajoute aux représentations qui portent sur l’égalité et la liberté celles sur la fraternité, donc l’émancipation humaine individuelle et sociale. De manière succincte, au sein du Mode de production capitaliste, nous en déclinerions les Epoques de redistribution qui permettent de saisir les nouvelles conquêtes sociales à ajouter ainsi que les retours en arrière momentanés que tentent les classes dirigeantes.

Le nœud du problème est révélé par l’évolution du « revenu global net » des ménages – salaire individuel, salaire différé, fiscalité -, à savoir l’état du partage de la « plus-value sociale » entre le travail et le capital. Tout repose sur la nature du contrat de travail – ou son absence. Sur ce niveau de la production, s’élève celui de la Reproduction – les Equations de la Reproduction Simple et Élargie – et celui de la Redistribution tant dans la réallocation des ressources disponibles – crédit public inclus –, que dans la reproduction dynamique des Moyens de production que des Moyens de consommation. On peut ainsi distinguer l’Epoque de Redistribution du libéralisme classique ; celle de l’Etat social ou Welfare State keynésien avec leurs régulations socio-économiques et budgétaires ; et celle de la régression libériste actuelle reposant sur le néolibéralisme monétarisme à l’heure du capital spéculatif hégémonique qui phagocyte l’économie réelle. A cette croisée des chemins, s’ouvrent deux possibilités, soit le « retour » vers la société de la nouvelle domesticité et du nouvel esclavage puisque les processus de production nécessiteront moins de travailleurs physiques, soit l’approfondissement de la RTT fondé sur un « revenu global net » des ménages reposant sur une plus grande part de la « plus-value sociale » contrôlée par les travailleurs et les citoyen.ne.s eux-mêmes.       

Ainsi les articulations des perceptions de classes dans un Etat social reposant sur un Système de Sécurité Sociale avancé expriment des choix de société qui impliquent nécessairement un partage différent de la « plus-value sociale ». L’Etat social d’après-guerre avait donné lieu à une poussée de démocratisation tous azimuts, tant dans les relations de travail désormais conçues comme relevant de la démocratie industrielle, que dans la protection sociale et familiale des membres d’une Espèce reposant sur la reproduction sexuée indépendamment de la taille des ménages, que dans la fonction publique ouverte à la syndicalisation, que dans le logement social, les transports collectif, les loisirs et surtout la démocratisation de l’éducation nationale laïque, publique et gratuite. La poussée communiste-libertaire de Mai 68 ne peut donc pas être ravalée à un quelconque « qualunquismo » individualisant, réfractaire et petit-bourgeois.

Dans cette lancée se développèrent d’autres aspirations démocratiques exigeant la parité des genres dans tous les domaines et de nouveaux droits civiques (voir ici) ainsi qu’une nouvelle RTT permettant de renforcer les branches de la Sécurité Sociale tout en l’étendant au un système de garderie nationale mur-à-mur soutenant la marche à la parité concrète et un système de gériatrie-gérontologie moderne. (voir par ex Tous ensemble

Le déroulement de ce « roman inachevé » de la démocratisation sociale et de l’émancipation humaine fut violemment rejeté par la bourgeoise occidentale, la France faisant momentanément exception grâce au Programme commun mis en place par le Président Mitterrand avec l’appui initial du PCF jusqu’au revirement à droite voulue par les notables au nom d’une plus grande intégration au sein de l’UE donnée comme espace régional permettant de résister au déferlement global de la contre-réforme reaganienne. L’adhésion au Traité de Maastricht fut obtenu en promettant la défense des entreprises publiques – Art. F 3, 3b – que l’Europe sociale devait consolider. Ces promesses ne furent pas tenues, les soi-disant « champions nationaux » qui devaient tirer partie de l’espace européen pour conserver leur rang mondial, furent sacrifiés à la « gouvernance globale privée », puis de plus en plus aux politiques néolibérales et monétaristes, ce qui finit par transformer la gauche française en appendice du capital spéculatif hégémonique global. (3) Désormais, suivant le Consensus de Washington, le Trésor soumis à la logique de la FED et du FMI contrôlé par elle, exerce son hégémonie sur les Ministères de l’Economie et des Finances pour imposer sa public policy néolibérale-monétariste et son austérité budgétaire. En France, ceci nous a valu la Lolf de de Boissieu qui supprima toute gestion contre-cyclique en soumettant tous les budgets ministériels à l’obligation de ressources annuelles immédiates. L’UE abonda dans le même sens et ajouta le Fiscal Compact. Au fond, ceci revenait à copier, avec retard, la politique de Reagan visant à comprimer les budgets tout en leur imposant l’obligation de l’équilibre, y compris au niveau des Etats fédérés lesquels, pour leur part, ne pouvaient plus s’endetter mais devaient, néanmoins, continuer à assumer les services sociaux et les coûts croissants dus à l’explosion des budgets de l’assistance sociale causée par les ravages de la précarité et du workfare.   

Aux USA, la contre-réforme reaganienne se fit au son des clairons des économistes de Chicago qui avaient été précédés par les recettes de la Commission Trilatérale comprenant Samuel Huntington, celui-là même qui avait théorisé les « strategic hamlets » au Guatemala et au Vietnam puis, plus récemment, le choc des civilisations et la « guerre » au terrorisme. A l’époque, la Trilatérale milita ouvertement pour mettre fin « aux rising expectations » des travailleurs et citoyens, tout en imposant le contrôle sur « les flux autorisés de communications » et le « retour à la déférence envers l’Autorité », nouvelle Inquisition reposant sur la censure de plus en plus évidente. J’ai montré l’ancrage de ce programme qui refuse de contempler le dépassement de la contradiction entre forces productives et rapports de production dans un meilleur partage du travail socialement disponible dans les recettes du Report from the Iron Mountain voulut par l’Establishment américain à la fin des années 50s. (4)

Ce rapport s’inspirait lucidement du marxisme à l’instar de Bismarck voulant en émousser les pointes ; il prenait acte du fait que le moteur du capitalisme est la croissance de la productivité mise au service de l’accumulation privée ; cette croissance, entraînée inéluctablement par la compétition capitaliste, mène à «libérer » une part croissant de la force de travail ainsi réduite au chômage, puisqu’une productivité en hausse permet de produire plus en un même temps de travail avec plus de machines, d’organisation du travail mais moins de travailleurs physiques. Arrivé au point où seulement 20 à 30 % de la force de travail suffiront, que faire alors des 80-70 % restants. La réponse envisageait donc froidement « le retour à une société de la nouvelle domesticité et du nouvel esclavage » en lieu et place d’un meilleur partage du travail socialement nécessaire entre toutes les citoyennes et citoyens aptes au travail. C’est bien cette « marche vers minuit » qui est sous nos yeux aujourd’hui, à peine masquée par la généralisation du « workfare » reaganien et la généralisation de la précarité. (Voir la chanson récente Rich Men North of Richmond )

En conclusion, M. Rosanvallon a une conception étriquée de l’égalité encore qu’il reprenne dans son titre une expression qui renvoie à la démocratie socialement avancée pour l’époque de Babeuf – c’était également le cas pour Thomas Paine dans le contexte américain. La lutte de classe contre l’inégalité n’est pas censée mener à l’émancipation humaine individuelle et collective, elle vise tout au plus une plus grande redistribution plus cohérente avec l’équité bourgeoise qu’avec l’égalité humaine. A preuve, sa conception est similaire à celle de Piketty, Sayez et al., dont j’ai démonté les mécanismes menant à un mythe sorélien selon lequel les inégalités sociales seraient indépassables. (5) Elle considère un peu la disparité des patrimoines mais elle est surtout obnubilée par le taux supérieur de prélèvement de l’impôt sur le revenu laissant de côté les autres considérables émoluments. Ce choix est hautement démagogique dans le cadre de la fiscalité régressive actuelle alors que durant le New Deal aux USA – de même qu’en France après 1945 – ce taux de prélèvement supérieur allait de pair avec des barèmes d’impôt fortement républicains et progressifs. Aujourd’hui, ceci mène un autre comparse Daniel Zucman, à démarcher un pseudo-Giec fiscal qui irait chercher au plus 2 % sur les gros revenus déposés dans les paradis fiscaux, juste assez pour boucher quelques trous budgétaires et permettre la continuation de la politique de démantèlement accéléré de l’Etat social et de la fiscalité progressive. (6)

L’erreur est toujours la même : la bourgeoisie ne sait pas rendre compte de la création de la valeur d’échange, et donc de la genèse du profit, ce qui lui permet de masquer son exploitation de classe et son accaparement de la « plus-value sociale » au-delà du salaire net individuel ou, au mieux, du « revenu global net » des ménages, à l’Époque de l’Etat social. Comme on sait, avec des Giddens (p 352) ou des Rawls (p 290 et 334) les conflits de classes se résolvent selon la théorie des jeux, les « outcomes » plus avantageux pour tous résulteraient de la coopération – entre dominants et dominées, patrons et travailleurs -, ce qui serait même douteux si d’aventure tous les joueurs étaient à égalité dans le jeu selon les illusions de la démocratie municipale de New Haven, Connecticut, de R. Dahl selon lequel tout groupe de 4 vaut tout autre groupe de 4.

Dans mon Introduction méthodologique (7) j’ai montré la structure du Capital de Marx : le Livre I analyse les rapports d’exploitation donc le contrat de travail, et le partage de la plus-value produite entre le salaire et le profit – et le cas échéant la rente agricole. Le Livre II analyse les rapports de reproduction  donc les Schémas de la Reproduction Simple et Élargie. Le Livre III analyse les rapports de redistribution soit les relations juridiques larges et la lutte des classes qui mettent en scène le niveau politique puisque le pouvoir politique consiste dans la capacité à mobiliser et à allouer les ressources de la Communauté en faveur de la Communauté, bien entendu selon le niveau démocratique atteint. Par exemple, à un système de planification socialiste correspondrait des formes de démocraties socialistes qui investiraient aussi et surtout les deux premiers rapports qui aujourd’hui sont placés sous la tyrannie de la propriété privée et du patronat flanqués par le pouvoir d’Etat bourgeois. (8)

Aussi tout discours sur l’égalité, y compris ses aspects économiques et fiscaux, commenceraient par le contrat de travail. Aujourd’hui, les protections légales – Code du travail etc. – sont démantelées et la course s’accélère pour le démantèlement des protections syndicales pour passer à une relation travailleur-patron de gré à gré, avec la précarité généralisée en prime. Lorsque les échelles salariales sont réduites dans le cadre d’un Système de Sécurité Sociale avancé, les inégalités diminuent fortement ainsi que la « peur des lendemains » des citoyennes et citoyens devant travailler pour vivre. De fait, tout le monde le constate aujourd’hui puisque les inégalités sociales restent encore moins dramatiques en France, pays où le démantèlement de la Sécurité Sociale et des droits des travailleurs est encore – pour peu ? – moins prononcé qu’ailleurs dans l’UE.

Pour le reste, on sait que toutes les classes dominantes ont peur du Nombre. A l’époque moderne, qui mit fin au droit divin et aux autres prétentions exclusivistes racistes ou théocratiques, ce fut la grande hantise de Nietzsche et, avant lui de Ed Burke contre lequel Thomas Paine écrivit son exemplaire Rights of Man en défense de la République et de l’égalité humaine. Bien entendu ces deux grands penseurs réactionnaires n’épuisent pas la liste. Rosanvallon en cite quelques autres dont Tocqueville et Barrès. Dans un cadre où les conquêtes populaires ont imposé le suffrage universel et la reconnaissance des droits sociaux pour compléter les droits individuels fondamentaux, cette hantise informe en permanence selon la constellation des forces sociales et politiques en présence, les stratégies et la propagande idéologique-démagogique des classes dominantes. Ceci fonctionne tant qu’elles réussissent à présenter la défense de leurs propres intérêts comme servant l’intérêt général. C’est de moins en moins le cas, d’où la fuite en avant exclusiviste philosémite nietzschéenne la plus régressive qui soit depuis la défaite du nazi-fascisme à Stalingrad.

C’est bien « le retour à une société de la nouvelle domesticité et du nouvel esclavage » que tentent les dirigeants occidentaux surreprésentés. Aujourd’hui, par l’instrumentalisation sans précédent de la peur et de la surveillance omniprésente et intrusive, cela prend la forme des Nouvelles Lois de Manu (9). Cela cause beaucoup de dégâts mais n’a aucune chance historique de s’imposer du moins si l’on se fie à l’expérience historique de résolution de la contradiction entre forces productives et rapports de production. Ceci a toujours mené au bout du compte à un pas civilisationnel humain supplémentaire vers plus d’émancipation individuelle et collective.

Paul De Marco                  

Notes :

1 ) La proposition d’égaliberté, Étienne Balibar, Fabrice Flipo, https://www.cairn.info/revue-mouvements-2010-4-page-145.htm

Pour montrer la vacuité marxiste du traitement de l’égaliberté par Balibar voici une citation : «« L’égaliberté » est une exigence de liberté et d’égalité, l’un étant en tension avec l’autre, comme le montre l’auteur dans une discussion étroite de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (p. 56-73), dans un rapport qui n’est pas sans lien avec l’identité de l’identité et de la différence hégélienne. (…)La forme extérieure de nombreux évènements récents s’explique bien quand la dynamique néolibérale est replacée dans une perspective postcoloniale. Le débat sur le « foulard » (2004) est largement surdéterminé par le fait que l’exclusion frappe d’abord les populations issues des migrations, la « laïcité » pouvant aussi se comprendre comme une forme particulière d’hégémonie nationale (p. 278). »

Nous avons déjà montré que la tension égalité/liberté est factice et sert à occulter l’émancipation humaine. Avec de nombreuses conséquences. Donc le discours sur le « foulard » et la « laïcité » qui serait devenue un facteur d’exclusion de la banlieue. Discours de la droite lorsqu’elle attaqua la laïcité comme «une idéologie comme une autre » forçant le Président Chirac à réaffirmer que la laïcité consistait « à croire ou à ne pas croire. » La question inventée du « voile » – par A Bauer et sa plume Klugman – a déjà été analysée dans mon Livre III, ici. (Utilisez le terme « voile » dans la Fonction rechercher pour aller aux paragraphes pertinents.) Entretemps, le lilliputien intellectuel Habermas, qui appela la police sur le campus au grand désarroi de Marcuse qui craignait que soit ainsi révélé les liens avec la CIA et le Mossad, prétendait critiquer Kant, un des plus grands épistémologues de tous les temps, en substituant à l’universalité de l’impératif éthique kantien non pas la particularité opposée au général mais la singularité, en fait celle des lubies des Elus de droit divin !!! Pour le contexte international de cette dérive voyez mon Pour Marx, contre le nihilisme, 2002, ici

2 ) Voici ce que j’écrivais dans la Note 11de mon essai « Yahoo, la liberté d’expression et sa fiscalité »:

 « 11 ) Citons une nouvelle fois Piketty, chantre de la spéculation érigée en système avec ses inégalités qu’il feint de critiquer pour mieux établir leur perpétuation (« partout et toujours » …) contre l’incrédule 99 % : « En 1872, Emile Boutmy créait Sciences-Po en lui donnant une mission claire : elles-mêmes les classes élevées ne peuvent conserver leur hégémonie politique qu’en invoquant le droit du plus capable. Il faut que, derrière l’enceinte croulante de leurs prérogatives et de la tradition, le flot de la démocratie se heurte à un second rempart fait de mérites éclatants et utiles, de supériorité dont le prestige s’impose, de capacités dont on ne puisse pas se priver sans folie. » dans Emile Boutmy, Quelques idées sur la création d’une Faculté libre d’enseignement supérieur, 1871 (sic), cité dans Piketty (2013), p 782.Piketty ne faisait que confirmer ce que j’avais déjà démontré dans mon site depuis sa lointaine création. Mais, avouons-le, la citation vaut son pesant d’or et on lui en sait gré … Noter que le système de sélection républicain imaginé par Boutmy reposait sur des connaissances à base scientifique utiles pour la société dans son ensemble. Bien entendu, les concours des grandes écoles étaient et restent biaisés de différentes façons dont le bagage intellectuel familial et l’aisance économique permettant de se consacrer à de longues études. On pourra se reporter au texte « Spoliation » dans mon Pour Marx, contre le nihilisme. On sait que 6 % à peine d’enfants d’ouvriers et de paysans ont accès à l’université. Cependant, Boutmy n’aurait jamais pu contempler que ce biais déjà rédhibitoire, qui contraint la mobilité sociale en faussant l’opération de la Loi des grands nombres en faveur des classes mieux placées dans la transmission des connaissances plutôt qu’en faveur de la seule richesse, puisse encore être renforcé par la pré-sélection maçonnique exercée en coulisse sur la base de l’adhésion à de grotesques narrations, trop souvent récompensées par des prix, en particulier en économie.»

La forme la plus grotesque de cette prétention éducative bourgeoise au fond axée sur la négation barbare de l’égalité et de l’émancipation humaines se retrouve dans le projet d’exclusion systématique Parcoursup ou, de manière plus grotesque encore, dans les inepties de Friot qui tente de vendre comme concept « communiste » ( !) l’abandon du contrat de travail et des négociations collectives pour un « salaire à vie » comme celui des fonctionnaires – aujourd’hui soumis aux coupures et à l’attrition des postes – mais négocié de gré à gré selon … les parcours scolaires et les diplômes !!! (Voir ceci et ceci)  

Au demeurant Althusser avait montré comment les innovations et les découvertes scientifiques dépendent de plus en plus tout au long de l’Histoire des équipes misent en place et financées par l’Etat – ou par de grands groupes accaparant alors les brevets … y compris sur le vivant …

La science – qui n’est que le travail intellectuel d’appréhension du monde – repose sur la distinction entre l’universel, le général et le particulier. Elle est ontologiquement égalitaire, puisque, sans ce que Hegel dénommait « l’espace intersubjectif » commun, aucun discours, aucune transmission de connaissance, partant aucun apprentissage, ne serait possible.

3 ) Je renvoie ici à mon « Les conséquences économiques de MM Volcker, Reagan et Cie », mars 1985, à mon « Europe des nations, Europe sociale et constitution » de jan 2004, tous deux dans la section Politique Economique Internationale de mon vieux site expérimental www.la-commune-paraclet.com . Voir aussima discussion sur les politiques publiques dans le cadre de Maastricht contenue dans Keynésianisme, Marxisme, Stabilité Économique et Croissance – 2005 – idem, section Livres-Books.  

4 ) Voir en particulier mon Pour Marx, contre le nihilisme, 2002.

5 ) Voir « Les inepties concaves de Piketty sur l’inégalité et les patrimoines » et « A fraud called Piketty », dans la-commune-paraclet.com/Book ReviewsFrame1Source1.htm . Pour rappel, les ratios diachroniquement et synchroniquement pérennes d’inégalité de Piketty font abstraction des la spéculation financière ainsi que de l’existence du bien nommé ici « socialisme réel » !

6 ) Voir « Le Giec fiscal de Daniel Zucman contre la souveraineté nationale et la progressivité fiscale » dans : LE GIEC FISCAL DE DANIEL ZUCMAN CONTRE LA SOUVERAINETÉ NATIONALE ET LA PROGRESSIVITÉ FISCALE, 26 oct. 2023 (1/3) | Blog di rivincita sociale

7 )  Voir Introduction méthodologique dans la Section Livres-Books de mon vieux site expérimental www.la-commune-paraclet.com

8 ) Voir « De nouvelles formes de démocratie à inventer » dans https://rivincitasociale.altervista.org/de-nouvelles-formes-de-democratie-socialiste-a-inventer-1/ 

9 ) Voir a ) « Nietzsche et le cauchemar éveillé » dans NIETZSCHE ET LE RETOUR DU CAUCHEMAR ÉVEILLÉ | Blog di rivincita sociale ; b ) « Heidegger, la corruption intime de l’âme et du devenir humain » dans HEIDEGGER, LA CORRUPTION INTIME DE L’ÂME ET DU DEVENIR HUMAIN. | Blog di rivincita sociale ; c ) « Machiavelli ou comment « vivere libero » dans un Etat de droit approprié ». 29 déc. 2021, dans Machiavelli ou comment « vivere libero » dans un Etat de droit approprié. 29 déc. 2021. | Blog di rivincita sociale ; et d ) Pour Les Nouvelles lois de Manu » voir la Brève du 25 avril 2022 dans SARS-CoV-2 : BRÈVES/FLASH NEWS/BREVE. | Blog di rivincita sociale Blog di rivincita sociale  (On peut utiliser le cas échéant un traducteur en ligne comme www.deepl.com )

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